Mobilité inclusive : un levier de développement des bassins de vie – Interview d’Etienne Chaufour
Directeur Île-de-France, en charge de l’Éducation, des Mobilités, et des Solidarités chez France Urbaine, Etienne Chaufour revient pour le LMI sur la prise de compétence « mobilité » par les Communautés de communes, la question de la tarification et de l’instauration des futures « Zones à Faibles Émissions ».
LMI. Quelle est l’approche de France Urbaine en matière de mobilité inclusive ?
Etienne Chaufour. La mobilité “partout, pour tous”, comme inscrite dans la loi LOM, est un levier de développement des bassins de vie. Or des millions d’habitants en France dans les territoires retirés et dans les quartiers prioritaires ont encore aujourd’hui des difficultés à se déplacer. La mobilité pour France Urbaine est un enjeu fort du quotidien pour le désenclavement des territoires et des quartiers prioritaires pour améliorer l’accès à l’emploi, à la formation, mais aussi à la santé, aux loisirs et aux besoins du quotidien et quel que soit le public. Nous menons des actions en coopération avec les acteurs de la mobilité, mais également les élus locaux pour que la “mobilité partout et pour tous” soit une réalité sur le terrain. Nous gardons un œil attentif sur les initiatives et pas seulement publiques, qui relèvent du privé et notamment des startups. Nous réfléchissons aux moyens de les soutenir, de les faire connaître, mais aussi de voir comment ces innovations peuvent être déployées sur d’autres territoires.
Quels sont aujourd’hui, en matière de mobilités, vos constats : grâce à la loi LOM, a-t-on franchi une étape ? L’écosystème encouragé par la loi permet-il de tendre vers plus d’égalité ?
EC. Nous constatons sur le terrain que l’offre de mobilité reste encore faible. Ce qui exclut d’autant les publics fragiles ou empêchés, comme les jeunes, les seniors, les personnes à mobilité réduite… Pire encore depuis la crise sanitaire qui a assigné à résidence les publics les défavorisés des semaines durant, sans pouvoir accéder aux soins et plus globalement aux besoins du quotidien. Face à ce constat, notre premier axe majeur d’action n’est pas de développer des lignes ferroviaires à tout va, mais de multiplier des alternatives à l’autosolisme. En matière de mobilité partagée, de nombreuses initiatives peuvent être lancées. Le co-voiturage et l’autopartage par exemple, financés par la collectivité, sont des solutions à favoriser qui permettent de transporter les populations de leur domicile aux lignes de transport ferroviaire. Ces solutions existent autour des métropoles grenobloise et lyonnaise. L’idée étant d’augmenter l’offre de mobilité la plus adaptée possible aux besoins des populations pour mieux desservir les territoires retirés.
Le deuxième enjeu est de rendre le transport ferroviaire plus utile en milieu urbain, mieux adapté à la réalité du quotidien. Nous menons une réflexion de fond avec la SNCF afin de développer des services express métropolitains afin de mieux cadencer les trains sur une partie des itinéraires pour que les petites agglomérations soient mieux desservies.
Vous travaillez sur d’autres pistes ?
EC. Effectivement. Nous travaillons sur la tarification. Les villes de Montpellier, Niort, Dunkerque, mais aussi Châteauroux ont mis en place la gratuité des transports. Pour l’heure, nous n’avons pas de recul suffisant pour affirmer que la gratuité induit systématiquement un report modal. En d’autres termes, est-ce que les populations laissent leur voiture au profit des transports en commun quand ils sont gratuits ? On ne peut l’affirmer, d’autant que s’est greffée la crise sanitaire qui biaise l’analyse. Mais on peut imaginer que l’acte d’achat d’un titre de transport peur être dissuasif, même si en France, l’usager ne débourse que 30 % du coût du transport contre 60 % dans d’autres pays où pourtant les transports collectifs sont plus fréquemment utilisés.
Ce serait donc se mentir que de dire qu’il suffit que les transports soient gratuits pour que les Français abandonnent leur voiture individuelle. Mais une véritable marge de progression existe vers un changement de comportement, mais à condition de proposer, en retour aux usagers, des alternatives cohérentes en phase avec leurs besoins. Même si se pose alors la question de la compensation en matière de recettes.
La prise de compétence “mobilité” par les Communautés de Communes répond-elle à l’enjeu de la “mobilité partout et pour tous” ?
EC. La prise de compétence par les Communautés de Communes va permettre indéniablement de réduire les zones blanches. Au 31 mars, 56 % des communes ont fait le choix de devenir Autorité Organisatrice de Mobilité tandis que les 44 % restantes ont préféré laisser la compétence aux régions. C’est un véritable paradoxe, car nous avons travaillé presque deux ans notamment avec les régions, pour bâtir ce qui allait devenir la LOM et jamais la question de prise de compétence par les régions ne s’est posée ou alors par défaut, si une intercommunalité manifestait clairement la volonté de ne pas s’engager.
Or, on constate qu’au moins trois Régions, Occitanie, PACA et Auvergne-Rhône-Alpes, ont exercé un véritable chantage auprès des communautés de communes jusqu’à les menacer de détricoter l’offre de transport, si elle acceptait la compétence. Or, ces régions n’ont rien compris, ce n’est pas parce que l’on gère les TER que l’on a la capacité aussi d’organiser la micromobilité, le transport à la demande ou l’autopartage. Au-delà de ces guerres d’exercice, le point positif est qu’il y aurait sur le territoire plus d’AOM, et c’est une très bonne chose. Autre point positif : des territoires se sont regroupés pour former des syndicats mixtes pour mutualiser les moyens et avancer sur le sujet plus rapidement et de façon plus efficace. Et cette réflexion autour de la mutualisation peut aller au-delà du territoire français. Les territoires du Genevois français, par exemple, ont réussi à se constituer en AOM pour apporter des solutions concrètes.
L’article 27 du projet de loi Climat rend obligatoire l’instauration d’une “zone à faibles émissions” limitant la circulation des véhicules les plus polluants dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Qu’elle est la position de France urbaine ?
EC. Nous y sommes favorables. De toutes les façons, nous n’avons plus le choix, car elles sont obligatoires dans 11 territoires condamnés par la Cour européenne de justice. Mais attention, la mise en place de ces zones ne peut être ressentie comme une punition. Nous sommes bien sûr favorables à moins de voitures dans les centres-villes à condition d’offrir aux populations qui s’y rendent d’autres alternatives à la voiture, au risque de vivre un nouvel épisode “Gilets jaunes”. Car en voulant dépolluer les centres-villes, sans offrir de solutions alternatives, on risque d’assigner à domicile les populations les plus fragiles, qui n’ont aucun autre moyen que d’utiliser leur “vieille voiture polluante”. En d’autres termes, nous y sommes favorables, mais il ne faut pas que ce qui profite aux uns soit au détriment des autres.