Mobilité inclusive, de quoi parle-t-on ?
DÉCRYPTAGE. Comment saisir tous les enjeux d’une mobilité plus inclusive en lien avec les grandes mutations sociétales ? Comment modeler l’avenir que nous voulons ? Le droit à la mobilité est un droit générique qui régit tous les autres, mais comment faire pour ne laisser personne au bord du chemin ? Car, pour l’heure, les inégalités face à la capacité de chacun de se déplacer librement restent criantes. Le Laboratoire de la mobilité inclusive (LMI) dresse le portrait d’une France empêchée.
Face aux difficultés de déplacement, le LMI dresse un constat alarmant. Zoom sur les résultats du dernier sondage réalisé auprès d’un échantillon de 1 000 individus, représentatif des résidents de la France métropolitaine en 2018, commentés par Valérie Dreyfuss, déléguée générale. Pour plus de 40 % des Français, les déplacements quotidiens constituent une expérience mobilité disponible. « La fracture entre les métropoles, les centres-ville, les périphéries urbaines et rurales ne cesse de croître. Des territoires entiers sont devenus, à bien des égards, de véritables déserts, où les populations se heurtent à une assignation à résidence. Un piège dangereux car, on le sait, l’ancrage géographique restreint drastiquement le champ des études et des orientations professionnelles, et l’accès aux services de la vie quotidienne. Or, au centre des inégalités criantes, la mobilité quotidienne comme condition d’insertion sociale et professionnelle paraît être un des vecteurs essentiels. » En revanche, pour la même proportion de Français, les déplacements quotidiens présentent une expérience difficile. « Être mobile suppose de disposer de moyens de transport et pouvoir s’en servir, se déplacer de façon autonome, avoir à proximité de son domicile des services, commerces ou bassins d’emploi, pouvoir faire garder ses enfants, lire un plan de transports, maîtriser le français… Lorsque l’un de ces moyens ou l’une de ces compétences manque, alors le risque d’être assigné à résidence grandit dangereusement. »
Faute de mobilité, les Français ont déjà renoncé…
➽ 41 % à un loisir ou une sortie culturelle ;
➽ 36 % à faire des démarches administratives ;
➽ 30 % à se rendre à un rendez-vous médical ;
➽ 26 % à faire des courses alimentaires.
(Source : Sondage LMI-2018.)
« Se rendre le matin au travail ou chez son médecin, faire les courses, rejoindre son école ou son université, retrouver sa famille ou ses amis… Tous ces déplacements simples de la vie quotidienne ne sont pas accessibles à tous. Force est de constater que, aujourd’hui, non seulement les offres de mobilité sont inégalement distribuées, mais que le potentiel à se mouvoir, qu’il s’agisse d’accéder à l’emploi ou à l’organisation de la vie quotidienne, n’est pas le même pour tous les citoyens. De fait, un Français sur trois est en difficulté de mobilité et menacé d’exclusion. » Un tiers des jeunes Français sans diplôme a déjà refusé un emploi à cause du transport. « Chez les populations les plus jeunes et socialement les plus fragiles – faible niveau de diplôme et faibles revenus –, ce constat est encore plus marquant : une personne en insertion sur deux a déjà refusé un emploi ou une formation pour des problèmes de mobilité et 28 % ont même abandonné un emploi ou une formation en cours. » Cinq millions de seniors affirment ne pas sortir de chez eux parfois pendant vingt quatre heures d’affilée faute de moyens de locomotion, soit une personne sur quatre. « L’inégalité en matière de mobilité est aussi un fait territorial. Selon la densité de population des communes, les temps d’accès aux commerces, services de soins de première nécessité, établissements d’enseignement, ou encore services pour les personnes âgées ou les jeunes enfants, varient du simple au triple. Les seniors sont les premiers empêchés. »
29 % des personnes interrogées déclarent avoir déjà « renoncé à des déplacements par crainte de se perdre » et 22 % par « incapacité à construire son itinéraire. » « La mobilité n’est pas uniquement une affaire de solutions de transports, c’est aussi la capacité à pouvoir comprendre le système de transports en place. Être autonome en matière de mobilité, c’est pouvoir être “multimodal”, c’est-à-dire être en mesure de comparer les modes de transport en adoptant différents points de vue : lequel est-il le plus commode ? Le moins coûteux ? Le plus rapide ? Le plus responsable ? Et de pouvoir choisir, en conséquence, le mode plus adapté. » 25 % du revenu, c’est la part du budget consacré à la mobilité chez les populations les plus vulnérables. « Un déplacement domicile-travail de 20 km en voiture coûte environ 250€ par mois, c’est-à-dire qu’il ampute de près d’un quart un salaire au Smic. Alors qu’un salarié francilien qui se déplace en transport en commun peut rejoindre son travail pour moins de 40€ par mois, après la prise en charge légale par son employeur de la moitié de son abonnement de transport. Et pour de nombreux jeunes, l’accès au permis de conduire, en raison notamment de son coût, est un obstacle à la mobilité et donc à l’émancipation. Un jeune sur deux ne s’inscrit pas au passage de l’examen du permis (48 %) pour des raisons financières. Si les aides sont nombreuses, elles sont souvent méconnues des publics les plus fragiles et les “taux de non-recours” sont particulièrement importants. »
Danièle Licata