L’enjeu environnemental priorité de l’après-crise ? – par Geneviève Laferrère
Quelle sera la place de la transition écologique dans l’après-crise ? Comment agir pour que la reprise soit verte et écologique ? Éléments de réponse avec Geneviève Laferrère, pilote du réseau Transports et mobilités de France Nature environnement (FNE) pour qui « il faut repartir, mais pas comme avant »
Pour France Nature Environnement, « le temps est à l’action », dès le 15 mai dernier, la fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement publiait « 15 propositions de mesures indispensables pour le pouvoir de vivre dès la fin du confinement », des propositions issues du « Pacte du pouvoir de vivre », porté par 55 organisations convaincues de l’intérêt de s’unir pour porter ensemble un pacte de la convergence de l’écologie et du social.
15 jours plus tard, le 03 juin 2020, dans un document intitulé « Reprise verte et solidaire : nos propositions pour “le monde d’après” France Nature Environnement avec le réseau Action climat proposait des solutions applicables dès maintenant : créations d’emplois, baisse des émissions de gaz à effet de serre et des impacts sur la biodiversité, préservation de la santé, réduction de la précarité et de la vulnérabilité et équilibre des territoires.
Nous avions échangé avec Geneviève Laferrère, pilote du réseau Transports et mobilités de France Nature environnement (FNE) à l’occasion des 6es rencontres de la Mobilité inclusive le 05 février dernier. Lors de la table ronde intitulée “Environnement et cohésion sociale : impact de la loi d’orientation des mobilités”, Geneviève Laferrère, défendait en matière d’environnement et de mobilité, “une approche à la fois sociale, économique et sociologique”. Nous sommes retournés à sa rencontre afin de recueillir son analyse de la crise et comprendre quels étaient les leviers d’actions pour les mois à venir.
Entretien avec Geneviève Laferrère :
On a beaucoup évoqué les impacts positifs de la démobilité sur l’environnement durant la période de confinement, tout comme on évoque les craintes d’un retour “au tout voiture” avec la sortie de cette crise sanitaire. Quelle est votre vision des choses, et votre analyse des événements ?
Un virus minuscule a mis à l’arrêt toutes les activités dans le monde entier pendant plusieurs semaines : du jour au lendemain, il a fallu rester chez soi, travailler à distance, consommer des légumes et des fruits fournis par des producteurs locaux parce que les livraisons étaient interrompues et les frontières fermées. Du jamais vu : des autoroutes et des boulevards vidés de leur flot d’automobiles et de camions. Et, profitant de la réduction de la pollution et du bruit des chantiers et des moteurs, les fleurs des champs commençaient à percer le bitume, des oiseaux qu’on croyait disparus revenaient pépier sous nos fenêtres, des abeilles virevoltaient et pollinisaient à nouveau les cultures. Aujourd’hui, alors que peu à peu les activités reprennent, cette situation sans précédent nous interpelle : veut-on vraiment revenir au “monde d’avant” ? Celui qui, au nom du profit et du progrès, surexploite les ressources et matières premières de la planète sans s’inquiéter de ce qui restera à nos enfants demain. Celui qui pollue et détruit irrémédiablement les “biens communs” (eau, air, sols, biodiversité) sans lesquels pourtant l’humanité ne peut vivre. Celui qui est responsable chaque année de 67 000 morts prématurées à cause des cocktails de polluants que nous respirons et qui rend les populations de plus en plus vulnérables aux épidémies. Celui dont les émissions massives de CO2 nous rendent impuissants face aux bouleversements climatiques…
N’y a-t-il pas urgence au contraire à mettre toutes nos intelligences et nos compétences au service d’un “monde d’après” ? Les 950 000 adhérents de France Nature Environnement croient fermement à la nécessité d’une transformation écologique et sociale pour repenser collectivement notre mode de développement et nos organisations, pour favoriser la résilience de notre société et nous prémunir des prochaines crises sanitaires ou climatiques.
Nous avons effectivement constaté nombres d’inflexions nouvelles dans nos modes de travailler, de consommer, d’habiter et de se déplacer, mais comment faire pour que ces nouvelles manières de vivre ne soient pas juste transitoires ?
Bien avant l’arrivée du Covid, France Nature Environnement a donné l’alerte sur les effets pervers d’une augmentation effrénée de nos activités et de nos déplacements au nom du sacro-saint “pouvoir d’achat”. Des associations d’environnement, d’éducation populaire, de lutte contre la pauvreté et bien d’autres structures l’ont rejoint pour porter ensemble un projet faisant converger l’écologie et le social : le pacte du “pouvoir de vivre”. Il contient 66 propositions concrètes pour refaire société, refonder l’économie et construire un avenir partagé. Ces mesures couvrent tous les territoires et apportent une attention particulière aux personnes fragiles, aux populations des secteurs ruraux éloignées des services publics et des accès aux soins. La généralisation des maisons de services au public et des centres de santé est préconisée, de même que la solidarité intergénérationnelle pour que les aînés ne soient pas isolés et assignés à résidence : implantation des résidences seniors à proximité des services et commerces, développement du transport solidaire. L’accès de tous aux produits locaux éco-responsables en organisant des circuits courts s’est aussi une mesure de bon sens, surtout à l’éclairage des évènements que nous venons de vivre. La soixantaine d’organisations signataires de ce pacte propose d’ailleurs “15 mesures indispensables pour la fin du confinement”, comme aider les ménages en difficulté – notamment ceux en grande précarité énergétique du fait des dépenses incontournables de chauffage, mais aussi de carburant pour leurs déplacements -, ou encore lancer un plan d’urgence vélo pour rendre ce mode accessible à tous et surtout plus sûr. Pour guider les collectivités territoriales, les aménageurs, les entreprises, les associations vers cette transition écologique et sociale, France Nature Environnement donne accès en ligne à un ouvrage qui multiplie les conseils pratiques, les exemples, les références : “Ecomobilité et EcoQuartiers : construire un projet durable”.
Avec la reprise économique, “la contrepartie environnementale” auprès des décideurs et des acteurs économiques est mise en avant, vous la négociez d’ailleurs âprement. En quoi cette contrepartie environnementale peut-elle aussi bénéficier aux personnes les plus fragiles ?
FNE a transmis à la cellule post-Covid de Matignon plusieurs propositions de court, moyen et long terme, pour renforcer les capacités de défense des populations et des systèmes de production.
L’épidémie a surtout frappé les populations déjà fragilisées, les personnes atteintes de maladies chroniques et respiratoires, souvent dues à des causes environnementales : pollution chimique omniprésente y compris dans l’alimentation, habitat dégradé et surexposé à la pollution de l’air et au bruit (en bordure de voies routières saturées ou aux abords des aéroports), modes de vie sédentaires.
La crise sanitaire s’accompagne d’une crise économique sans précédent. Il faut aider les entreprises à repartir, mais pas comme avant : notre fédération demande que les aides, prêts, subventions et autres soutiens étatiques directs ou indirects soient conditionnés à la transition vers des énergies et solutions moins émettrices de polluants et de gaz à effet de serre et vers la création d’emplois durables. Les premiers engagements de l’État ont été vers les deux secteurs industriels les plus emblématiques de notre pays : l’aéronautique et la production automobile. Le transport aérien doit réduire drastiquement ses émissions : la suppression des vols courts lorsqu’une alternative en train existe est une première étape. L’abandon des projets d’extension d’aéroports -qui induisent systématiquement une augmentation des trafics donc des nuisances- et la formation des personnels aux mutations à venir sont également nécessaires. De même, l’industrie automobile doit faire une conversion profonde pour fabriquer des modèles moins lourds, moins consommateurs d’énergies fossiles et moins émetteurs de gaz à effet de serre, en calculant consommations et émissions sur l’ensemble du cycle de vie des véhicules. Toutes les branches de l’économie ont un rôle à jouer pour que ces changements soient créateurs d’emplois de proximité.
L’une des leçons de la crise est le rôle prépondérant de certains métiers pour assurer le lien et la cohésion sociale : les services à la personne, les professions de santé et d’éducation ; à côté, les métiers supports du digital et de l’informatique ont accompagné durant la crise la dématérialisation et l’automatisation de nos processus de travail, d’échanges et de communications.
Nous avons démontré en quelques semaines notre capacité d’adaptation à une situation entièrement inédite : nous devons maintenant contribuer à initier le “monde d’après”. Unissons-nous pour défendre un monde vivable.