La question de «l’équité spatiale» – Interview de Louise Larcher

Conseillère technique dans le département aménagement des territoires à l’Association des Maires de France (AMF), en charge des dossiers de mobilités Louise Larcher revient sur les grands enjeux de la LOM et de la mobilité en insistant sur le fait que «développer la mobilité dans les zones peu denses, est une nécessité sociale, écologique et de cohésion territoriale »

LMI : Les communautés de communes viennent de se prononcer pour devenir autorités organisatrices de la mobilité (AOM). C’est finalement cohérent puisque, qui mieux que les maires, dans leur relation de proximité avec les citoyens, pour organiser la mobilité ?
Louise Larcher. Effectivement. La loi d’orientation des Mobilités (LOM) a redistribué les cartes en permettant aux communautés de communes de devenir avant le 31 mars, Autorité Organisatrice de la Mobilité (AOM). En se saisissant de cette compétence, elles deviennent ainsi les acteurs publics compétents pour l’organisation des services de mobilité inclusive sur leur territoire. Car la LOM a renforcé leurs champs d’action dans différents domaines. En effet, les AOM peuvent organiser des services ou contribuer à leur développement (service de location de vélos, plateforme de mise en relation pour le covoiturage). Elles peuvent également promouvoir et développer des mobilités solidaires aux côtés de la sphère sociale pour assurer le droit à la mobilité des plus fragiles. Elles peuvent enfin organiser des services de transport de marchandises et de logistique urbaine en cas d’inadaptation de l’offre privée. Elles disposeront d’une ressource fiscale, le versement mobilité, pour financer cette compétence lors de la mise en place de services réguliers.
Avez-vous déjà une idée du nombre de communautés de communes qui se sont saisies de cette compétence ?
LL. Il est encore trop tôt pour dresser un bilan. À l’AMF, nous avons fait un petit tour de France pour présenter aux communautés de communes les enjeux de cette prise de compétence. En fonction de la situation locale, la position des intercommunalités n’est pas la même. Certaines n’ont pas trouvé pertinent de passer à l’acte, là où d’autres au contraire ont souhaité devenir acteur de la mobilité. Pour celles qui ont renoncé, il leur reste encore une certaine marge d’action, car elles peuvent toujours créer de la concertation pour déployer des services partagés, comme les aides au permis de conduire, les garages solidaires…Et beaucoup n’ont pas attendu pour agir. Elles pourront aussi redevenir AOM après le 1er juillet 2021 lors d’une fusion avec un ou plusieurs autres EPCI ou lors de la création ou de l’adhésion à un syndicat mixte auquel elle décide de transférer sa compétence d’organisation de la mobilité. Mais il est vrai que la date butoir du 31 mars est tombée en pleine crise sanitaire. Finalement, les élus locaux ont eu très peu de temps pour se décider, accaparés depuis un an par des sujets plus urgents à traiter : les masques, les hospitalisations, le report des élections et aujourd’hui, la vaccination…
Le volet financier a-t-il été un élément décisif dans la prise de décision des communautés de communes ?
LL. Le financement est le nœud central, car seule l’organisation d’un service de transports réguliers permet de lever du versement mobilité. Dans le cas échéant, les communautés de communes devront mobiliser leur budget propre. Et c’est précisément pour cette raison que les élus locaux hésitent à franchir le pas, car ils appréhendent la mobilité comme un service lourd et onéreux à mettre en place. Or la LOM est une loi souple, qui permet aux AOM de laisser le transport scolaire, le transport à la demande ou encore le transport régulier à la charge des Régions.
En France, environ 19 millions de personnes n’ont pas accès à une mobilité durable. Elles sont prisonnières de leur voiture qui leur coûte cher, alors que celles qui n’ont pas de véhicule individuel ou ne peuvent pas conduire sont, pour leur part, assignées à résidence. La LOM peut-elle corriger ces inégalités ?
LL. À l’AMF, nous travaillons beaucoup autour de la notion « d’équité spatiale ». Prenons l’exemple de l’instauration des zones à faible émission prévue dans la LOM ; nous ne sommes pas contre l’objectif louable de réduire la pollution dans des villes saturées, au contraire, mais il soulève clairement la question de l’équité spatiale. Cette loi peut laisser à penser que ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter un véhicule électrique ne pourront plus avoir accès au centre-ville. Cette question de l’équité nous oblige à réfléchir un peu plus prudemment que le gouvernement qui parfois affiche des objectifs très ambitieux, qui peuvent mettre, administrés et collectivités, en difficulté. Car toutes les communes, par exemple, n’ont pas les moyens de renouveler leur flotte de véhicules, même si elles sont pleines de ressources et sont capables de déployer des mobilités inclusives sans trop dépenser.
L’ambition de la LOM ne risque-t-elle pas alors d’être contre-productive ?
LL. L’objectif de la loi est de supprimer « les zones blanches ». Mais il faut du temps et de la pédagogie pour changer les habitudes de mobilités. Mais également une volonté politique. Car il faut mettre en place des services qui répondent aux besoins des populations. Or les enjeux des zones peu denses ne sont pas les mêmes que ceux des métropoles ou des agglomérations. Et c’est dans ces zones retirées qu’il y a le plus d’initiatives à lancer. C’est un sujet sur lequel, à l’AMF, nous planchons, spécifiquement dans ces territoires peu denses qui sont de véritables terrains d’expérimentation. Car l’absence de solutions de mobilités adaptées constitue encore un obstacle et un frein dans la vie quotidienne qu’il convient d’examiner avec attention. Cela apparaît comme une nécessité sociale et écologique, mais également de cohésion territoriale. Je pense qu’on peut parvenir à déployer des solutions adaptées à chaque territoire en fonction des enjeux propres. Si dans les métropoles les défis sont la pollution, la nécessité de désaturer les transports collectifs ou encore supprimer la voiture dans les centres-ville, dans les territoires moins denses, il s’agira de déployer des solutions de mobilité alternatives à la voiture autosoliste.