« La crise, un accélérateur de prise de conscience » – Interview de Cyrille Moreau
Transport en commun, vélo, auto-partage, co-voiturage… la métropole de Rouen accélère sa mutation en pleine crise de la Covid-19 pour répondre au mieux aux nouvelles pratiques des Rouannais et notamment aux plus fragiles. Détails avec le vice-président en charge de la mobilité, Cyrille Moreau.
Est-ce qu’un an de crise sanitaire a rebattu les cartes en matière de transport dans la métropole de Rouen ?
Cyrille Moreau. La crise sanitaire a été un accélérateur de prise de conscience qui a fait émerger de nouvelles aspirations des populations en matière de mobilité. Mais c’est avant tout, les enjeux climatiques qui ont rebattu les cartes. Plus simplement, la pandémie a joué le rôle d’accélérateur d’une révolution déjà en marche. L’exemple type est celui du vélo. Concrètement sur le territoire de Rouen, nous avons un avant et après pandémie. Aujourd’hui, circulent sur les pistes des populations que l’on ne croisait pas avant la crise de la Covid. Clairement, la pandémie a fait s’interroger les Rouennais sur leur mobilité et les a amenés à bouleverser leurs modes de déplacement. De grandes tendances se dégagent aujourd’hui : d’abord, la part de la voiture (en nombre de véhicules jour) se stabilise du fait du télétravail. Ensuite, comme partout en France, on constate une baisse de la pratique des transports en commun, qui atteint -20 % en moyenne sur la période alors que la pratique du vélo explose avec un bond de 30 %. Et à ma grande surprise, le co-voiturage, que nous avons expérimenté remporte un franc succès.
Qu’est-ce que la métropole a mis en place pour répondre aux nouveaux besoins et aux nouvelles pratiques ?
C.M. Nous menons trois catégories d’actions. Comme je vous disais, nous avons, d’abord, expérimenté un système de co-voiturage interne au bassin urbain avec la société klaxit, où les conducteurs sont rémunérés. Ce qui garantit un grand nombre de véhicules et donc une offre très large, et ça fonctionne. Ensuite, pour le déploiement du vélo, pour l’heure, nous nous sommes limités à 20 kms de coronapistes. Mais dès septembre 2021, nous allons monter en puissance avec 800 vélos à la location qui seront mis en circulation avec ensuite une livraison cadencée de 200 par mois. Nous allons développer des systèmes de boxes sécurisés de différentes tailles sur l’espace public, les lieux de travail et de domiciles. Et en septembre 2021, nous offrirons aux usagers un maillage sécurisé de 200 km de pistes sur l’ensemble du territoire.
Concernant, le bus, après une réduction du trafic durant le confinement, nous avons pris le parti de déployer désormais une offre identique à celle d’avant crise, en dépit de la baisse de fréquentation. Mais avons fait également le parti de renforcer le maillage du réseau en augmentant l’offre de 10 % dès septembre 2022. Historiquement, le réseau de la métropole était une croix, progressivement, il a pris la forme d’une grille avec plusieurs lignes, Nord-Sud et Est-Ouest et désormais nous travaillons à l’organisation d’un réseau en toile d’araignée sur l’ensemble du territoire pour court-circuiter les axes structurants et faire gagner du temps aux usagers. Car si nous n’investissons pas le territoire dans son ensemble, nous risquons de perdre 30 % de fréquentation. Ce qui serait une catastrophe écologique, mais aussi économique.
Comme palier la baisse des recettes ?
C.M. On ne peut pas compenser, c’est dramatique. Nous sommes face à un scandale. L’État a mobilisé 15 milliards d’euros pour contribuer à l’effort de relance du secteur aéronautique, 8 milliards pour l’automobile et 200 millions pour les vélos. Quant aux transports en commun, l’enveloppe s’élève à 700 millions, mais essentiellement pour aider la RATP et la SNCF. Rien pour les autres opérateurs. Voilà la clé de répartition. Ce qui en dit long sur les grands arbitrages de l’État. Résultat : nos recettes commerciales fondent, nous avons perdu une partie du versement transport et nous sommes en négociation avec notre opérateur pour voir comment on peut se répartir les pertes subies. Nous n’avons, pour l’heure, pas d’autres choix que de s’endetter, sauf à ce que l’État décide un nouveau rééquilibrage des aides. C’est risqué, mais l’urgence est de répondre aux besoins des populations en matière de mobilité.
Tout ce que vous avez mis en place répond-il aux besoins des plus fragiles ?
C.M. Nous y travaillons, mais le cadre législatif joue contre nous puisque l’État a exigé en pleine période de Covid de mettre en place des zones à faibles émissions (ZFE) dans les métropoles et les grandes agglomérations. Or, la ZFE se contrefiche du statut social des populations, puisque c’est uniquement l’âge du véhicule qui est pris en compte. C’est ainsi que celui qui a les moyens de s’acheter une grosse voiture 4×4 peut continuer de circuler, mais pour celui qui possède une petite voiture diesel ancienne, la loi lui interdit de circuler dans les métropoles et les grandes agglomérations. Ce sont les vignettes Crit’Air au-delà de 3 qui sont visées avec à terme, la disparition dans les métropoles et les grandes agglomérations des véhicules diesel. Sauf de nombreux concitoyens ne peuvent remplacer leur véhicule, en dépit des aides diverses.
Pour l’heure, la plupart des métropoles ont refusé de mettre en place ces ZFE, repoussant l’échéance à juillet 2021. Sur la métropole de Rouen, nous avons décidé de commencer par la logistique. Si nous arrivons à réguler l’air et à faire descendre la pollution en dessous du seuil imposé par l’État, nous pourrons gagner du temps pour réfléchir à des dispositifs de compensation. L’État a annoncé qu’il fera un état des lieux des ZFE au 1er janvier 2022. S’il n’est pas satisfait, il reprendrait les choses en main à partir du 1er janvier 2023 en décidant des périmètres, et d’autres critères avec un objectif de bannir les vignettes critère 3 et plus à échéance 2025.
Cela représente à Rouen près de la moitié du parc automobile, soit 150 000 véhicules pour 225 000 ménages, ce n’est pas un cataclysme ! Car Rouen, comme les autres grandes agglomérations, a créé de l’étalement urbain. Et ce sont les populations les plus modestes, qui résident loin du cœur de ville qui sont essentiellement concernées. Elles risquent d’être exilées à la périphérie sans transports en commun, avec l’impossibilité de remplacer leur voiture, très souvent deux par foyer, et de se retrouver dans l’incapacité de travailler et de subvenir à leurs besoins du quotidien. Je crains, à terme, la résurgence d’un nouveau mouvement de gilets jaunes.
C’est pourquoi, par anticipation, nous étudions différents scénarii d’aides complémentaires à celles de l’État. Pour autant, nous ne sommes pas en mesure d’assumer seuls la transformation du parc automobile. Si en attribuant une aide financière de remplacement de 4 000 à 5000 euros, l’enveloppe s’élèverait à 600 millions euros pour la Métropole. Impossible à supporter. C’est pourquoi nous expérimentons d’autres plans, notamment, le co-voiturage, comme je vous l’expliquais. En développant l’offre et donc le nombre de conducteurs par des mesures incitatives, nous pouvons créer un maillage solide. D’ailleurs, le test que nous avons lancé avec les entreprises dans le cadre du plan de déplacement d’entreprise (PDE) est convaincant et pourrait être étendu. Notre objectif étant de développer toutes les solutions alternatives à la voiture individuelle, comme aussi le système d’autopartage. Dans chaque centre bourg, l’idée est de mettre à disposition un parc de véhicules en complémentaire des différents dispositifs qui s’adressent à ceux qui sont trop éloignés pour utiliser le vélo comme moyen de déplacement ou se trouvent au-delà des lignes de bus et donc qui n’ont pas d’autres choix que la voiture alors que les lignes de train ont disparu.