« La crise a révélé une conscience grandissante de l’impact environnemental des politiques de déplacement » – Interview de Valérie Dreyfuss dans Les Clés de la mobilité, 22 sept. 2020
Les Clés de la Mobilité donnent la parole à ceux dont l’action et l’expertise façonnent notre mobilité, d’aujourd’hui et de demain. Valérie Dreyfuss, Déléguée générale du Laboratoire de la mobilité inclusive, expose sa vision de la crise et son impact sur les habitudes et possibilités de déplacement dans les villes comme en zones rurales. Elle présente les principaux enjeux pour une mobilité plus durable identifiés par le laboratoire et la manière dont la filière automobile peut prendre toute sa part à la construction d’un nouveau modèle économique.
Selon vous, comment les constructeurs automobiles et autres acteurs de la filière pourraient faire bouger les lignes en matière de mobilité inclusive ?
Les constructeurs automobiles et acteurs de la filière ont un rôle à jouer dans cette transformation. Ils peuvent changer de modèle économique, en favorisant la location de véhicules, en rationnalisant l’utilisation des ressources et de l’énergie, en innovant avec des motorisations plus propres. En effet, aujourd’hui être propriétaire d’une voiture a moins de sens qu’avant. Nous devrions ainsi penser usage plutôt que propriété et favoriser l’économie circulaire dans l’industrie automobile.
Mais, n’oublions pas que 3 français sur 4 déclarent être contraints dans leurs déplacements. Par conséquent, la première urgence est de s’interroger sur les fractures sociales et territoriales, et in fine sur l’égalité de l’offre de mobilité en France.
Quel regard portez-vous sur le contexte économique et social de ces derniers mois et quel impact sur la mobilité ?
La crise montre ô combien cruciale est la capacité des collectivités à comprendre les besoins des habitants et à les placer au cœur des projets de leur territoire. La mobilité doit être pensée comme vecteur d’accès aux services de la vie quotidienne, elle doit ainsi être réinterrogée dans tous les projets. Les collectivités ont été fortement mobilisées pendant cette période et cela va s’intensifier : l’immobilité provoquée par le confinement a mis en lumière les difficultés rencontrées par des personnes isolées, souvent âgées, à accéder à des services de proximité dans des territoires dépourvus d’offres locales.
Pendant cette période, de nombreuses innovations sociales portées par la société civile ont vu le jour. Je pense par exemple au recours à la réserve des soignants qui a permis de coupler solution de logement et de mobilité pour des professionnels appelés en renfort souvent loin de leur domicile ; dispositif leur permettant d’exercer plus sereinement et en sécurité.
La crise a aussi révélé une conscience grandissante de l’impact environnemental des politiques de déplacement, notamment auprès des jeunes. Aujourd’hui, ils sont promoteurs d’actions souhaitables, de plus long terme, en privilégiant le train plutôt que l’avion pour des distances courtes, en s’emparant des solutions de mobilité partagée ou solidaire. Ils repoussent aussi l’acquisition du permis de conduire et sont plus captifs aux offres alternatives.
Enfin, le télétravail a joué un rôle important pour limiter la propagation du virus. Malheureusement, des entreprises restent dans la défiance et ne sont pas encore convaincues par ce mode d’organisation. Et pourtant, nous voyons éclore dans les territoires des espaces de coworking mis à disposition par des réseaux d’élus.
Quels sont les enjeux pour la mobilité inclusive ces deux prochaines années ?
Premièrement, nous devons arrêter d’être dans la précipitation. Cette crise nous a invités à revenir sur la question de la temporalité et à penser différemment nos actions, nécessairement sur un temps plus long et tenant compte des externalités découlant de nos décisions.
Il y a ensuite un vrai enjeu autour du collectif. Nous devons remettre l’habitant au cœur des débats de son territoire, en amont des projets et en capacité de penser leur impact sur le long terme. L’injonction climatique et la conscientisation grandissante vont y concourir.
Troisième enjeu : toute mutation doit être comprise et accompagnée. Nous faisons trop souvent l’économie de l’animation et de l’accompagnement humain. La littératie numérique n’est pas égale chez nos concitoyens. Pour y remédier, des plateformes de mobilité prennent vie dans certains territoires. En passant par ce dispositif, toute personne peut bénéficier d’un diagnostic individuel de mobilité pour comprendre ses besoins et les freins qui s’imposent à lui. En fonction des résultats, des solutions de mobilité lui seront présentées et elle sera accompagnée et mise en relation avec des solutions de transport coordonnées. Malheureusement, aujourd’hui, ce modèle ne profite qu’aux personnes bénéficiaires de l’action sociale et mériterait d’être ouvert plus largement.
Enfin, il y a un enjeu d’éducation à la mobilité et autour de la manière dont nous faisons comprendre l’impact des déplacements, dont nous faisons accepter les changements dans nos vies personnelles. De ce point de vue, il y a un effort à faire en matière de communication sur l’impact de nos décisions et sur les politiques climatiques et environnementales.
Date : 22 septembre 2020
« La crise a révélé une conscience grandissante de l’impact environnemental des politiques de déplacement » – 3 questions à Valérie Dreyfuss, Déléguée générale du Laboratoire de la mobilité inclusive