[Interview] Il faut mettre en œuvre tous les moyens pour favoriser une transition adaptée aux déplacements du quotidien
Frédéric Cuillerier, maire de Saint-Ay (45) copréside la commission « Transports, mobilités, voirie » de l’Asssociation des Maires de France. L’AMF organise du 22 au 24 novembre 2022, le 104e Congrès des maires et présidents d’intercommunalité de France. Frédéric Cuillerier rappelle que sortir de la dépendance aux énergies fossiles il est urgent d’investir dans la diversification des modes de transport, mais que l’envolée de la facture énergétique des collectivités pourrait contraindre les maires à reporter leurs investissements.
Si les mobilités durables constituent une réponse aux besoins de déplacements du quotidien des populations pour répondre à l’urgence climatique, pourtant le passage à des modes de déplacement plus durables reste poussif ; quels sont les freins que vous avez identifiés ?
Frédéric Cuillerier. Il existe de plusieurs freins qu’il faut parvenir à desserrer si l’on veut répondre aux enjeux des transitions climatique, énergétique, économique et sociale auxquels sont aujourd’hui confrontés les collectivités et leurs habitants en matière de transports et de mobilités. Le premier point de résistance est d’ordre subjectif. Le véhicule personnel, est synonyme d’autonomie, de liberté et de praticité. Des qualités puissantes qui expliquent en grande partie pourquoi plus de 70 % des automobilistes ne sont toujours pas prêts d’abandonner leur voiture. Le second point de résistance s’explique par l’aménagement de nos territoires. La conception de nos villes, avec ses rues et trottoirs étroits ne favorise pas les mobilités douces car la sécurité n’y est pas garantie. Autre frein : l’étalement urbain. Pour réaliser le rêve d’une maison avec jardin, les Français se sont de plus en plus éloignés du centre-ville et de leur lieu de travail. Ces distances de plus en plus longues ne permettent pas des trajets au quotidien à vélo ou à pied. Viennent s’ajouter l’abandon des petites lignes ferroviaires et le coût élevé des voitures électriques sachant qu’il n’existe pas encore de marché de l’occasion. Résultat, si l’on cumule tous ces freins, les familles modestes et moyennes ne peuvent se libérer de la voiture thermique.
Stagnation des salaires, envolée du prix de l’énergie, flambée du prix des carburants : au-delà du défi climatique, comment les mobilités durables sont-elles devenues un enjeu de pouvoir d’achat ?
FC. Si on cumule les coûts de l’acquisition du véhicule, de l’entretien et du carburant, le transport au quotidien est devenu un des principaux postes de dépenses des ménages. C’est pourquoi, dans un contexte de pouvoir d’achat contraint, les transports collectifs et les mobilités douces pourraient être des alternatives au tout voiture. Sauf que pour basculer sur des modes de déplacements durables, les Français vont devoir faire des concessions en acceptant, tout d’abord de perdre en autonomie. Dès lors, on comprend que nous vivons une véritable révolution sociologique. Un changement de modèle qui ne peut réussir que si nous mettons en place une offre de mobilité adaptée à leurs besoins du quotidien.
Les moyens techniques et financiers dont disposent les maires sont-ils à la hauteur des enjeux de la décarbonation du secteur ?
FC. Soutenus par le Plan vélo, avec plus de 200 millions supplémentaires qui ont été dégagés par l’État, par le plan ferroviaire avec la réouverture de petites lignes…les maires ont engagé la transition. Mais la crise énergétique risque de freiner leurs ambitions. Dans toutes les communes la facture d’énergie a été multipliée par deux, alors que qu’elle représente déjà 10 % de nos dépenses de fonctionnement. Le danger est que cette flambée des prix nous contraint à reporter nos projets d’investissement, même si la transition reste une de nos priorités. Car pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, accélérer la lutte contre le réchauffement climatique et assurer notre indépendance énergétique, l’AMF rappelle qu’il est indispensable d’investir, au sein de nos collectivités territoriales, dans la diversification des modes de transport et des énergies renouvelables.
En matière de mobilité, comment tendre vers plus d’égalité ?
FC. La commission « Transports, mobilités, voirie » de l’AMF que je copréside avec Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux (38), a fait un certain nombre de propositions au gouvernement pour répondre aux enjeux des transitions climatique, énergétique, économique et sociale en matière de transports et de mobilités. Nos propositions s’inscrivent dans une volonté de décentralisation et de différenciation de la réglementation entre les territoires pour apporter une réponse équitable aux besoins de chaque citoyen. Pour cela, il est impératif que les territoires et l’État coopèrent pour faciliter l’acceptabilité sociale des mesures. Parmi les mesures proposées, nous demandons la possibilité de rouvrir, au profit des communautés de communes la faculté d’engager un nouveau travail sur la prise de compétence mobilité́ pour permettre aux territoires de se rendre compétents lorsqu’ils le souhaitent, à leur rythme et selon leurs besoins, à la carte. En effet, compte tenu de la crise sanitaire, du report des élections municipales, du souhait des régions de conserver la compétence mobilité́ et d’un manque de temps pour apprécier l’impact d’une telle prise de compétence, de nombreuses communautés de communes ne se sont pas saisies de cette compétence avant l’échéance du 31 mars 2021. Un certain nombre de communautés de communes le regrettent, d’autant plus que l’échelon régional n’est pas forcément le plus adapté aux spécificités locales des différents territoires en termes de mobilités. En parallèle, nous proposons la création de syndicats mixtes SRU pour harmoniser la prise de compétence mobilité́ au niveau intercommunal et mieux dialoguer avec la région.
D’autres mesures, comme les titres de transport uniques pour simplifier les démarches des usagers, la création d’une instance de dialogue entre les différentes autorités compétentes en matière de mobilités, la création d’un grand plan national de l’État consacré aux infrastructures ferroviaires établi avec les élus locaux de plusieurs milliards d’euros, sont également proposées.
Autre piste : développer davantage les mobilités douces, la France étant très en retard au niveau de l’aménagement des mobilités douces (3% de liaisons douces) par rapport à ses voisins, notamment l’Allemagne (10%) et les pays du nord (12%).
Une autre difficulté́ réside dans le fait que ces mobilités douces se heurtent aujourd’hui à l’objectif zéro artificialisation nette des sols, prévue par la loi climat et résilience du 22 août 2021. Cet objectif, partagé par les élus locaux, pénalise totalement les communes et les intercommunalités qui font l’effort d’investir dans les pistes cyclables et piétonnes. Nous proposons pour combler le retard un grand plan national. Quant aux mobilités électriques, l’enjeu sera la capacité d’équipement en infrastructures de recharges publiques, c’est-à-dire le déploiement des bornes de recharges qui seront nécessaires sur les espaces publics communaux et intercommunaux ou dans les équipements publics accueillant des airs de stationnement. Nous proposons qu’un accompagnement technique et financier soiut apporté aux communes pour le déploiement de ces bornes de recharge de véhicules électriques à plus grande échelle.