[Interview] Sandra Hoibian, directrice générale du Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie (Crédoc).
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Sandra Hoibian, directrice générale du Crédoc décrypte les résultats de la troisième édition de l’observatoire des vulnérabilités (dont le LMI est partenaire) et nous explique combien le sentiment de vulnérabilité des Français progresse fortement et met en lumière les déplacements des plus vulnérables : « la flambée des prix pèse et renforce le repli sur soi ».
L’observatoire des vulnérabilités vient de publier la 3e édition du baromètre sur le sentiment de vulnérabilité des Français, dans un contexte de flambée générale des prix ; que nous dit l’enquête réalisée cet été ?
Sandra Hoibian. Globalement, elle montre que cette année l’inflation nourrit vulnérabilité et repli sur soi. Plus en détail : 41 % des Français se sentent « plutôt » ou « tout à fait » vulnérables compte tenu de l’envolée des prix notamment ceux de l’énergie. Soit 10 points de plus que l’an passé, qui avait été une année marquée, elle aussi, par une hausse du sentiment de fragilité nourrie par la crise sanitaire. 11 % déclarent l’être depuis moins d’un an, soit depuis la hausse des prix, alors que 12 % déclarent l’être depuis un à deux ans, donc depuis la crise sanitaire.
Toutes les catégories sociales sont touchées, que l’on habite en ville ou à la campagne, que l’on soit un homme ou une femme, un jeune ou un retraité. Mais ce sentiment progresse plus particulièrement chez les jeunes, les classes moyennes inférieures et les foyers précaires. En effet, si la vulnérabilité́ est maximale chez les bas revenus soit 1 285 euros pour une personne seule (+ 10 pts en un an), c’est chez les classes moyennes inférieures soit un revenu compris rentre 1 285 euros et 1 840 euros, qu’elle a le plus augmenté (+17 pts). Et parmi les sondés, ce sont les jeunes qui affichent le plus fort niveau de vulnérabilité́, en progression de 20 pts en un an. 53 % des moins de 25 ans se sentent fragilisés, soit plus d’un jeune sur deux ! Si on s’attarde sur les CSP, on constate que les indépendants, les étudiants se montrent particulièrement vulnérables (+25 et +17 points). Mais près de la moitié des employés et des personnes au foyer sont également concernés. Avec 55 % des sondés, ce sont les agriculteurs, les artisans, les commerçants et les chefs d’entreprise qui expriment le plus fort sentiment de vulnérabilité. En affinant un peu plus le décryptage, ce sont les personnes séparées ou divorcées (45 %) et les célibataires (45 %), qui sont également plus exposées aux chocs inflationnistes.
Comment vous expliquez cette hausse de 10 points ?
SH. Alors que les sondés déclarent que le sentiment de vulnérabilité s’est accentué avec l’envolée des prix de l’énergie, mais également de l’alimentaire, très clairement la hausse des factures de chauffage, d’électricité, de gaz et de carburants vient se cumuler aux dépenses contraintes déjà lourdes, en tête desquelles le loyer ou le remboursement du crédit habitation. L’inflation vient s’ajouter aux autres difficultés et impacte particulièrement le quotidien des personnes qui sont en situation de vulnérabilité depuis plus de deux ans, avec comme conséquence des privations notamment dans les dépenses alimentaires.
L’observatoire des vulnérabilités vient de publier la 3e édition du baromètre sur le sentiment de vulnérabilité des Français, dans un contexte de flambée générale des prix ; que nous dit l’enquête réalisée cet été ?
Sandra Hoibian. Globalement, elle montre que cette année l’inflation nourrit vulnérabilité et repli sur soi. Plus en détail : 41 % des Français se sentent « plutôt » ou « tout à fait » vulnérables compte tenu de l’envolée des prix notamment ceux de l’énergie. Soit 10 points de plus que l’an passé, qui avait été une année marquée, elle aussi, par une hausse du sentiment de fragilité nourrie par la crise sanitaire. 11 % déclarent l’être depuis moins d’un an, soit depuis la hausse des prix, alors que 12 % déclarent l’être depuis un à deux ans, donc depuis la crise sanitaire.
Toutes les catégories sociales sont touchées, que l’on habite en ville ou à la campagne, que l’on soit un homme ou une femme, un jeune ou un retraité. Mais ce sentiment progresse plus particulièrement chez les jeunes, les classes moyennes inférieures et les foyers précaires. En effet, si la vulnérabilité́ est maximale chez les bas revenus soit 1 285 euros pour une personne seule (+ 10 pts en un an), c’est chez les classes moyennes inférieures soit un revenu compris rentre 1 285 euros et 1 840 euros, qu’elle a le plus augmenté (+17 pts). Et parmi les sondés, ce sont les jeunes qui affichent le plus fort niveau de vulnérabilité́, en progression de 20 pts en un an. 53 % des moins de 25 ans se sentent fragilisés, soit plus d’un jeune sur deux ! Si on s’attarde sur les CSP, on constate que les indépendants, les étudiants se montrent particulièrement vulnérables (+25 et +17 points). Mais près de la moitié des employés et des personnes au foyer sont également concernés. Avec 55 % des sondés, ce sont les agriculteurs, les artisans, les commerçants et les chefs d’entreprise qui expriment le plus fort sentiment de vulnérabilité. En affinant un peu plus le décryptage, ce sont les personnes séparées ou divorcées (45 %) et les célibataires (45 %), qui sont également plus exposées aux chocs inflationnistes.
Quel est l’impact de la vulnérabilité sur les déplacements et les transports ?
SH. Parmi les facteurs qui vulnérabilisent la population aujourd’hui figure en bonne place la question de la mobilité. Le sentiment de relégation territoriale progresse de 11 points en un an. Plus en détail : à la question « au cours des 12 derniers mois, en raison de difficultés liées aux déplacements (en dehors des périodes de grèves), à quels types de déplacements avez-vous dû renoncer ? », 40 % des personnes qui disent se sentir vulnérables ont renoncé à rendre visite à des amis ou à la famille, soit 18 points de plus que la moyenne des Français, 38 % se sont privées d’activités de loisirs comme le sport, les visites culturelles ou le cinéma (+21 pts que la moyenne). Et 19 % des personnes vulnérables se sont résignées à ne pas vivre une relation sentimentale pour économiser sur le transport (soit 11 points de plus que la moyenne). La hausse des prix du carburant a même conduit 11 % des Français, et 26 % des personnes vulnérables à faire une croix sur des examens médicaux. Pour ce qui est des démarches administratives, le constat est le même. 26 % y renoncent soit 14 points de plus que la moyenne. Quant à l’emploi, 19 % des personnes qui se sentent vulnérables indiquent avoir dû refuser un emploi ou renoncer à suivre des études ou une formation (10 points de plus que la moyenne). Autre enseignement de l’enquête : ce sont les personnes qui se sentent vulnérables depuis moins d’un an qui renoncent le plus aux déplacements qu’ils soient pour entretenir leur vie sociale (56 %) et affective (43 %), pour accepter un emploi ou suivre une formation (41 %), pour réaliser des examens médicaux (42 %) ou des démarches administratives (41 %). Mais elles sont suivies de près par les personnes en grande vulnérabilité, c’est-à-dire depuis deux ans et plus.
Quelles sont les conséquences d’années de renoncements ?
SH. Une des conséquences est le repli sur soi, une sorte de recroquevillement avec le temps. L’enquête nous enseigne que lorsque la vulnérabilité s’installe, les personnes réduisent leur champ des possibles et s’accoutument à une vie rétrécie, avec moins de déplacements. L’habitude conduit les individus à s’adapter, à chercher à faire correspondre les aspirations aux possibilités.
Ces résultats mesurent, pour les plus vulnérables à quel point le lien social déjà fragilisé par la crise sanitaire, est fragilisé pour un pan entier de la population française. Celui-ci s’accompagne pour bon nombre d’une grande solitude. Le problème est qu’à ce choc inflationniste vont se greffer de nouvelles dépenses liées à la transition écologique. L’obligation de changer de véhicule représente un investissement lourd pour les ménages. Le portefeuille des ménages est d’autant mis à l’épreuve que les salaires stagnent. Résultat, il plane chez bon nombre de Français un fort sentiment de relégation territoriale qui cette année progresse. 46 % des Français interrogés se considèrent comme les grands oubliés des pouvoirs publics, soit +11 points de plus qu’en janvier 2022. Un sentiment plus marqué chez les bas revenus, les indépendants et les habitants des communes rurales. 4 % des Français sont tout à fait d’accord avec l’idée qu’ils habitent dans un territoire délaissé́ par les pouvoirs publics ; 17 % des moins de 40 ans partagent ce sentiment (vs 12 % des 60-69 ans), 20 % des bas revenus (vs 10 % des hauts revenus), 20 % des habitants des communes rurales (vs 13 % agglomération parisienne), 26 % des indépendants, enfin 18 % des personnes au foyer.
Plus globalement, quelles sont conséquences au quotidien pour les Français ?
SH. Cette envolée des prix augmente les difficultés à s’acquitter de ses factures, notamment celles d’eau, gaz et électricité. 18 % des Français ont été en difficulté́ pour régler leurs charges de logement en juillet 2022, devant les impayés d’abonnements pour téléphone portable ou internet (15 %), de loyer ou d’assurances habitation ou voiture (13 %). Et ce sont les personnes en vulnérabilité depuis moins d’un an qui sont tout particulièrement nombreuses (37 %) à ne pas avoir pu payer leurs charges d’électricité́, eau, gaz. Et inévitablement, les difficultés à payer les factures s’accompagnent d’une hausse des dépenses reportées ou annulées. On constate notamment une hausse des reports de courses alimentaires (32 %, +12 pts) et d’entretien technique du véhicule (34 %, +12 pts). Des reports d’ailleurs plus fréquents chez les publics vulnérables quels qu’ils soient. Autre conséquence : la moitié de la population interrogée limite sa consommation de chauffage.
Ce sentiment de vulnérabilité s’accompagne-t-il d’une hausse des demandes d’aides ?
SH. Effectivement. On constate une forte mobilisation des associations et des pouvoirs publics, et l’on voit que la proportion de personnes aidées a beaucoup progressé, avec globalement un bon ciblage des aides qui touche prioritairement les bas revenus, les jeunes et les catégories qui se sentent effectivement plus vulnérables que les autres. En revanche, les classes moyennes inférieures qui se sentent beaucoup plus vulnérables cette année obtiennent moins souvent des aides, 16 points de moins par rapport aux bas revenus. Une situation qui s’explique en partie aussi, car elles demandent moins souventdes aides que les bas revenus (27 % d’entre elles ont demandé́ une aide, contre 43 % des bas revenus) mais également par de possibles effets de seuil, par peur de la stigmatisation, ou par manque d’information et d’accompagnement.
Téléchargez l’étude ICI
Voir le site du CREDOC ICI
Méthodologie
L’Observatoire des vulnérabilités a été mis en place en 2018. Il est co-construit avec un ensemble de partenaires d’univers différents : entreprises, pouvoirs publics, associations, chercheurs, personnes en situation de vulnérabilité.
Il s’appuie sur des questions insérées dans le dispositif permanent d’enquêtes sur les Conditions de vie, et aspirations des Français du CREDOC qui existe depuis 1978. Celui -ci est mené trois fois par an depuis 2020 en hiver, printemps et automne (deux vagues par an auparavant). Les résultats de cette étude s’appuient sur la vague menée en juillet 2022. L’enquête est menée en ligne auprès d’un échantillon représentatif de la population française comprenant 3 400 personnes (méthode des quotas) par vague. Ces quotas (région, taille d’agglomération, âge, sexe, habitat individuel ou collectif et PCS) sont calculés d’après le dernier recensement général de la population.