[Interview] Le développement des mobilités doit trouver une source de financement
Antoine Chéreau est Vice-président d’Intercommunalités de France chargé des mobilités et Président de la communauté Terres de Montaigu. Il estime que « les coopérations multimodales à l’échelle du bassin de mobilités élargi, sont une réponse à plus de cohésion sociale et territoriale ».
Est-ce que la politique de mobilité depuis la LOM est une preuve que le couple Région-Intercommunalité peut fonctionner ?
Antoine Chéreau. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 (LOM) affirme le tandem Région – Intercommunalités pour l’organisation des mobilités. Elle avait appelé plus de 900 communautés de communes non AOM à se positionner sur la prise de compétence de l’organisation de la mobilité. Sur 915 communautés de communes qui devaient délibérer, 461 se sont saisies de la compétence et 454 ne se sont pas saisies de la compétence. Cela avec de grandes disparités entre les différentes régions. La LOM établit un cadre de coopération à l’échelle des bassins de mobilité. Dans une enquête menée par Intercommunalités de France à l’été 2022, deux tiers des intercommunalités interrogées se disent satisfaites par la cartographie des bassins de mobilité élaborée par leur région (en projet ou validée), signe probable d’un effort global de concertation.
Depuis la LOM, en matière de mobilités, les intercommunalités sont devenues indispensables ; ont-elles les moyens de garantir une politique de mobilité qui réponde aux enjeux environnemental et social ?
AC. À travers leurs plans locaux d’urbanisme intercommunal valant plan de mobilité, les intercommunalités peuvent articuler finement le développement urbain avec l’offre de service et les infrastructures de mobilité en allant du transport en commun, aux mobilités partagées et actives. C’est là un levier considérable pour réduire les besoins en mobilités et faciliter l’accès à toute une palette de modes de déplacements. Les intercommunalités élaborent et mettent en œuvre les PCAET (Plan climat air énergie territorial), qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre et les consommations énergétiques. Elles promeuvent la production d’énergie renouvelable sur leur territoire. Compétentes pour le développement économique, elles peuvent évaluer finement les besoins en mobilités et animer le comité des partenaires qui en application de la LOM associe à minima, des représentants des employeurs et des associations d’usagers ou d’habitants, ainsi que des habitants tirés au sort.
En termes de financement, certains investissements sont à la portée d’une communauté de communes sur la durée d’un mandat : planifier un réseau de pistes cyclables, implanter des aires de covoiturage ou co-financer avec la Région le réaménagement d’un parvis de gare pour le transformer en pôle d’échanges multimodal. Ce sont des investissements qui peuvent être inscrits dans un contrat de relance et de transition écologique avec des financements croisés le cas échéant. Rappelons que le versement mobilité, s’il n’est pas mobilisable dans l’ensemble des territoires, reste une source importante du financement des mobilités. Dans les espaces à dominante urbaine, il finançait en 2018 48% des dépenses des AOM en fonctionnement et en investissement[1]. Les collectivités en financent 33% et les usagers 17%.
Le développement des mobilités doit donc trouver une source de financement. Plusieurs pistes peuvent être avancées. Pour Intercommunalités de France, la Contribution Climat Energie (CCE) serait la meilleure ressource à affecter, pour partie, au financement de la transition écologique dans les territoires, dont son volet « mobilités ». En outre, il faut coconstruire une programmation des investissements publics en faveur de la mobilité du quotidien. L’agenda de la nouvelle planification écologique territoriale offre pour cela une opportunité.
En quoi la mobilité est-elle devenue un enjeu majeur de cohésion sociale et territoriale ?
AC. La crise énergétique a accru l’urgence à réduire nos consommations. Mais cela ne doit pas entraver les mobilités, au contraire. Des solutions de mobilités sobres en énergie doivent être développées. La coopération entre territoires est à ce titre indispensable. Dans le cadre de l’enquête menée par Intercommunalités de France à l’été 2022, deux tiers des intercommunalités interrogées estiment que leur bassin de mobilité, en cours de définition par les régions, doit être plus large que le périmètre intercommunal. Elles s’inscrivent dans des bassins de vie élargis et des espaces de coopération interterritoriale : bassins d’emploi, périmètre de SCOT (Schéma de cohérence territoriale), PETR (Pôles d’Équilibre Territoriaux et Ruraux), pôles métropolitains, qui épousent davantage le périmètre fonctionnel de l’organisation des mobilités (déplacements domicile-travail et domicile-études). De nombreuses intercommunalités ont ainsi initié ces dernières années la contractualisation territoriale à l’échelle du bassin de mobilité élargi en nouant des coopérations multimodales. Cela s’est traduit, notamment, par la signature de contrats de réciprocité entre des métropoles et des territoires à dominante périurbaine.
Comment construire des territoires plus inclusifs ?
AC. On peut citer de beaux exemples d’intervention. Par exemple, la communauté de communes du Mont des Avaloirs (CCMA), dans la Mayenne, s’est engagée depuis 2015 dans une politique volontariste pour déployer des mobilités plus durables et solidaires sur son territoire. La CCMA s’est engagée à favoriser les déplacements pour tous les publics et à rendre accessibles les services aux publics en situation de précarité. À ce titre, les demandeurs d’emploi, étudiants et bénéficiaires de minima sociaux du territoire bénéficient d’un demi-tarif sur les locations des véhicules en autopartage et des VAE. En complémentarité, la plateforme Mobilité de la Mayenne regroupe un ensemble de services tels qu’une auto-école sociale, un garage solidaire ou encore un service d’accompagnement personnalisé. En partenariat avec le réseau social d’aide à la personne (RESOAP), la CCMA souhaite favoriser les déplacements des personnes en situation de précarité grâce à un réseau de bénévoles. Une Maison des mobilités est en projet. Autorité organisatrice de la mobilité depuis 2021, la CCMA a mis en place un comité des partenaires, véritable instance de dialogue réunissant partenaires institutionnels, associations locales, entreprises et citoyens. La prise de compétence AOM a permis de positionner l’intercommunalité comme l’échelon pertinent d’action en matière de mobilité. Elle a favorisé le développement de services dédiés et la collaboration avec les acteurs locaux.
En ce sens de nombreuses intercommunalités demandent que soit réouverte une période au cours de laquelle les intercommunalités pourraient de nouveau se saisir de la compétence d’autorité organisatrice de la mobilité. Intercommunalité de France se fait le relais de cette demande. Rappelons que les intercommunalités avaient eu à se positionner sur cette prise de compétence avant le 31 mars 2021, dans des conditions considérablement dégradées par les conséquences de la pandémie de COVID 19 qui ont particulièrement affecté les mobilités et profondément perturbé le renouvellement des conseils municipaux et communautaires.
L’ingénierie territoriale est devenue indispensable pour lancer des projets opérationnels de services de mobilité ; les intercommunalités sont-elles suffisamment armées ?
AC. Pour mettre en œuvre la politique d’organisation de la mobilité, les communautés ont besoin de ressources humaines dédiées. L’ingénierie de projet est indispensable pour inscrire les actions dans une stratégie territoriale et pérenniser les services. Selon l’enquête menée par Intercommunalités de France, 40 % des nouvelles communautés de communes AOM disposent ou sont en cours d’intégration d’un responsable des mobilités ou d’un chef de projet dédié. Un quart des communautés de communes AOM ont déjà délibéré pour lancer l’élaboration d’un plan de mobilité simplifié et 31 % l’envisagent au cours du mandat. L’ingénierie territoriale sera nécessaire pour lancer la conduite de projets opérationnels de services de mobilité ou de lignes de transports publics régulier et à la demande. Cette ingénierie sera aussi indispensable pour l’animation du comité des partenaires ou de l’écosystème d’acteurs, parties prenantes des nouveaux « plans d’action communs pour la mobilité solidaire » qui doivent associer AOM, départements, régions et acteurs du service public de l’emploi. L’élaboration de ces plans est aujourd’hui urgente pour faire face à la crise énergétique que nous connaissons.
Parmi les actions à inscrire dans le contrat opérationnel de mobilité, certaines sont porteuses d’enjeux structurants pour les intercommunalités. Il s’agit de la création, de l’aménagement et du fonctionnement des pôles d’échanges multimodaux et des aires de mobilité (notamment en milieu rural), des différentes formes de mobilité et d’intermodalité, mais aussi de l’aide à la conception et à la mise en place d’infrastructures de transport ou de services de mobilité. Bien que leur volet financier reste encore flou, les contrats opérationnels de mobilité peuvent constituer un véritable laboratoire pour la coopération territoriale et la co-construction des politiques publiques décentralisées.
[1] Source : rapport sur le modèle économique des transports collectifs établi par Philippe Duron en juillet 2021