[Interview] Julien Honnart : « Le covoiturage courte-distance ne peut se développer sans subvention de la collectivité ».
La voiture peut-elle devenir le nouveau transport public, notamment des zones périurbaines ? Et la hausse du carburant peut-elle en être l’élément déclencheur ? Explications de Julien Honnart, co-président de l’Alliance des Mobilités et cofondateur de Klaxit.
Présentez-nous l’Alliance des Mobilités.
Julien Honnart. L’Alliance des Mobilités est le 19e métier de MOBILIANS (ex CNPA) créé en 2019. Cette organisation professionnelle rassemble et fédère l’ensemble des entrepreneurs de l’autotech et des nouvelles mobilités qui proposent des innovations pour faire de la mobilité de demain une mobilité décarbonée, digitale, plus efficiente et accessible partout et pour tous. L’Alliance est composée de deux branches : la première est la branche « Nouvelles Mobilités » que je préside. Nous représentons ainsi les startups de la mobilité bas carbone (covoiturage, autopartage), électrique (scooters, vélos, trottinettes électriques), mais également les plateformes de location de places de parkings privés. La deuxième branche est la branche « Services de l’auto » qui est présidée par Thibault Sarrazin fondateur de Brikks (ex Convoicar, service de livraison de véhicules pour concessionnaires et garagistes) et représente l’ensemble des entreprises mettant l’innovation au service des métiers historiques de l’automobile (par ex, plateforme de mise en relation garagiste/particulier, certification d’avis clients, boites à clés, inspection automobile par intelligence artificielle…). Cette organisation professionnelle porte d’une même voix tous les projets et permet aux acteurs d’être représentés auprès des pouvoirs publics. MOBILIANS représente 500 000 emplois en France.
Dans un contexte de hausse du prix de l’énergie et d’urgence climatique, le secteur des transports est-il prêt à se transformer ?
JH. Le secteur se transforme, c’est indéniable. Mais nous avons besoin que les pouvoirs publics prennent en compte les changements de comportement et d’habitudes des usagers dans l’orientation de leurs investissements. Aujourd’hui, la quasi-intégralité du budget pour la transition du secteur des transports de personnes est consacrée au remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques, via le bonus écologique ou la prime à la conversion, par exemple. Toutes ces subventions représentent des milliards d’euros dépensés chaque année. Sans compter, la mesure la plus improductive que l’État n’ait jamais adoptée, à savoir la réduction du prix du carburant de 0,18 €, qui s’applique à tout le monde, même à ceux qui n’en ont pas besoin financièrement et qui coûte, elle aussi, des milliards d’euros. Une mesure qui finalement revient à subventionner le secteur pétrolier.
Dans un tel contexte, que préconisez-vous ?
JH. Quitte à subventionner le carburant, profitons-en pour encourager davantage le covoiturage. Ce qui permettrait de diviser par deux ou par trois la consommation de carburant par les automobilistes et soulagerait ainsi leur budget et qui dans le même temps allègerait dans les mêmes proportions la facture pour les pouvoirs publics. Sans compter qu’une telle mesure permettrait d’accélérer le changement des habitudes des Français en démocratisant le covoiturage du quotidien. Et pour le coup, cette mesure réduirait de manière pérenne notre dépendance à la ressource pétrolière.
Pensez-vous que les mesures en place pour favoriser le partage de véhicules soient suffisantes pour enclencher les changements d’habitudes des Français ?
JH. Pour les mobilités urbaines (vélos, trottinettes, scooters), dans les grandes villes et les métropoles, le système de partage des mobilités a trouvé son modèle économique, 100% B to C. Car la densité de population permet de garantir un nombre d’usagers suffisants et donc une rentabilité suffisante aux acteurs. En revanche, dans les villes moyennes et les petites villes, ce modèle ne peut fonctionner, faute d’usagers. Dans les propositions que nous avons adressées aux candidats avant le premier tour des présidentiels, nous avions une mesure phare qui consistait à transformer la dette Covid en subventions pour les nouvelles mobilités. Plus concrètement, si une collectivité locale investit un euro dans les mobilités, un euro sera soustrait à sa dette Covid. C’est un moyen d’aider les AOM à s’engager dans la transition écologique, mais également les usagers. Car sans subvention de la collectivité, les mobilités urbaines ne pourront pas se démocratiser dans les villes moyennes.
Alors, comment concevoir une politique de mobilité décarbonée plus efficiente et accessible partout et pour tous et notamment dans les villes moyennes et les territoires ruraux ?
JH. Pour cela, il faut développer en masse, dans ces zones, le covoiturage courte-distance et en faire un mode de transport subventionné par la collectivité et par les entreprises, comme pour les transports en commun. Car depuis la loi LOM fin 2019, le modèle économique du covoiturage courte-distance peut reposer sur les incitations financières mises en place par les collectivités locales. Et ça marche. Les passagers voyagent gratuitement ou à un prix symbolique et les conducteurs sont rémunérés entre 2 € et 4 € par trajet et par passager, soit 120 € par mois pour un usage régulier. C’est la collectivité qui paye la différence et crée ainsi un intérêt économique pour les automobilistes à laisser leur voiture au garage et devenir passager d’un covoiturage. Car la hausse du prix des carburants incite massivement les automobilistes à chercher des solutions alternatives, mais le déclencheur pour covoiturer est bien l’incitatif financier de la collectivité. Sans incitatif financier, il ne peut y avoir pas de passage à l’acte ni de covoiturage régulier.
Quel est l’enjeu aujourd’hui sur le marché du covoiturage quotidien ?
JH. L’enjeu sur notre marché n’est pas tant d’obtenir des inscrits supplémentaires, mais plutôt des budgets d’incitatifs financiers des collectivités locales, pour pouvoir transformer ces inscrits en covoitureurs. Et on le constate, dans les collectivités qui mis en place ces incitations financières, le covoiturage a le vent en poupe. Parmi les villes qui covoiturent le plus, Rouen est la grande gagnante, d’après le dernier classement que Klaxit vient de publier, avec plus de 22 000 trajets réalisés en mars 2022, suivie par Angers, Montpellier et Nantes dans la tranche des plus de 12 000 trajets mensuels réalisés. Alors que Bordeaux, Lille, Nice, Strasbourg, Rennes et Grenoble sont absentes du classement, on identifie bien les villes qui incitent financièrement leurs habitants à covoiturer. Au-delà du financement condition indispensable, le nerf de la guerre, c’est aussi la communication. Il ne faut pas oublier que partager sa mobilité suppose des changements d’habitudes. Et tout changement doit être accompagné de messages explicatifs et rassurants. Enfin, pour que le tout fonctionne, il faut bien sûr une forte volonté politique.