« Nous devons développer une mobilité plus durable, plus sobre et plus inclusive » – Interview de Thierry Mallet
Président du Groupe Transdev, Thierry Mallet alerte dans son dernier ouvrage « Voyage au cœur de la mobilité » sur l’urgence à changer nos habitudes de déplacements et milite au profit d’une mobilité partagée, verte et inclusive. Rencontre.
Vous venez de publier « Voyage au cœur de la mobilité » aux éditions le Cherche Midi ; Pourquoi ce livre ?
Thierry Mallet. Voilà cinq ans que je suis à la direction de Transdev. Au-delà de l’envie de partager mon expérience, je souhaitais comprendre les enjeux de mobilité qui sont le quotidien des Français partant du constat que malgré les contraintes, les coûts, la pollution, les embouteillages, et les solutions alternatives existantes, la voiture individuelle reste le moyen de déplacement le plus utilisé encore en France. 80 % de nos déplacements se font encore aujourd’hui en voiture. Il est vrai que depuis des décennies, les villes se sont bâties autour de la voiture, avec l’idée qu’elle représente une certaine forme de liberté. Mais compte tenu de l’urgence environnementale, ce modèle ne peut plus durer. Il en va, aujourd’hui, de notre responsabilité sociale, sociétale et environnementale. Nous devons développer une mobilité plus durable, plus sobre et plus inclusive. Et c’est possible. Il existe aujourd’hui une multitude de solutions adaptées aux besoins des citoyens et de leurs territoires, qu’il faut concevoir tous ensemble, services publics, entreprises privées, associations et collectivités locales.
Pourtant avec la flambée du prix du carburant, la voiture devrait rester plus souvent au garage ?
TM. Effectivement, pour bon nombre de ménages, les distances à parcourir pour se rendre au travail, accéder aux besoins de première nécessité ou se faire soigner grèvent considérablement le budget consacré aux transports. Et pour certains, ces sommes sont telles qu’elles en deviennent la principale source d’exclusion, notamment aujourd’hui avec la flambée du prix de l’essence.En 2017, les ménages ont consacré aux transports, en moyenne, 4 700 euros par an, selon l’enquête « Budget de famille » parue en 2021, soit 14 % de leur revenu disponible dont 11 % pour la voiture et 3 % pour les transports collectifs. Mais ces chiffres datent de 2017 et ont, compte tenu du contexte géopolitique, été révisés à la hausse et surtout ne sont qu’une moyenne qui couvre de très fortes disparités. Ainsi, les 10 % de ménages les plus modestes, ceux qui sont souvent contraints d’habiter en périphérie lointaine, consacrent 21 % de leur revenu disponible aux transports, il s’agit de leur troisième poste de dépense de consommation, derrière le logement et l’alimentation. Les 10 % les plus aisés n’y consacrent, eux, que 11 %. Et à la distance s’ajoute la vétusté de la voiture. Une double peine, car on sait que les voitures anciennes sont plus gourmandes en carburant. Or l’âge moyen d’un véhicule est 10 ans !Le véritable gain de pouvoir d’achat aujourd’hui est de pouvoir offrir aux Français une alternative à la voiture grâce à une offre de transports partagés parfaitement adaptée.
Finalement, la mobilité est plus que jamais un facteur d’exclusion sociale ?
TM. Effectivement. Ceux qui habitent en périphérie sont contraints, faute de choix, de consacrer près d’un quart de leur budget aux seuls déplacements domicile-travail. Ils se retrouvent ainsi écartés de l’accès à la santé, aux sorties culturelles, aux vacances… voire même la recherche d’un autre emploi, plus proche ou mieux payé. La question se pose évidemment beaucoup moins pour les habitants des villes et de la première couronne, où les transports collectifs permettent de circuler à moindre coût.
Dans votre livre, vous dites que la mobilité est en première ligne pour répondre à l’urgence climatique…
TM. L’insuffisante offre de transports collectifs de qualité en périphérie et la poursuite de l’étalement urbain se traduisent par une constante augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports, même si des efforts ont été faits ces dernières années pour optimiser la consommation kilométrique des véhicules. À elles seules, les voitures individuelles représentent plus de 60 % de ces émissions, soit près de 10 % des émissions nationales ! Un rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publié en août 2021 démontre non seulement que l’augmentation de la température moyenne est déjà de 1,1 °C, mais qu’elle s’accélère : elle a crû autant au cours de la seule décennie 2003-2012 qu’au cours des cinq dernières décennies du xixe siècle, soit de 0,2 °C. On sait aussi que cette augmentation des températures est clairement d’origine humaine, avec comme principale source les émissions de CO2 (dioxyde de carbone) et de CH4 (méthane). L’enjeu désormais nous concerne tous et il y a urgence. L’incroyable défi que nous posent ces prévisions exige de nous à la fois des capacités d’innovation et des changements de comportement. Nous sommes à l’heure de la transformation écologique. Et comme je le disais, compte tenu de l’urgence, il serait temps d’adopter une certaine sobriété, ce qui ne veut pas pour autant dire austérité. N’oublions pas qu’il faut agir vite mais également tenir la distance. Il faut donc opter pour les bons choix et les mener à la bonne vitesse.
Quelles solutions préconisez-vous ?
TM. L’enjeu, du moins sur un moyen terme, n’est pas de supprimer la voiture individuelle, ce qui serait irréaliste, mais de l’intégrer dans le champ possible des mobilités comme, d’ailleurs dans le cœur des grandes villes, où la mobilité partagée fait de plus en plus d’adeptes. Mais ce modèle, qui fonctionne bien dans les métropoles et les villes moyennes, ne pourra pas être répliqué à l’identique dans les zones moins denses là ou il faut pourtant réussir à limiter l’usage de la voiture en proposant des alternatives pérennes.Des objectifs ambitieux de parts modales, à l’horizon 2040, consisteraient à, au moins doubler la part des transports partagés, pour qu’ils atteignent 40 % (contre 17 % actuellement) et à réduire la part de la voiture individuelle en la faisant passer de 83 % à moins de 60 % en part kilométrique.Cela implique de développer des solutions adaptées aux zones périphériques et rurales. Au regard de la diversité des territoires, il faudrait réfléchir à des briques de solutions au cas par cas.Ces briques existent déjà dans un certain nombre de villes et de périphéries où elles permettent de réinventer la mobilité. Transdev a inventé de nouveaux modèles qui n’existaient pas en partant de situations concrètes, de demandes existantes, bien précises, auxquelles une solution restait à trouver. Nos modèles ont une particularité, ils sont partout duplicables au prix de quelques aménagements, ce qui permet de les adapter au contexte de chaque territoire afin d’y établir le maillage le plus fin possible. Il est urgent de déconstruire ce monde d’avant en favorisant les solutions alternatives de transport partagé, écologique et accessible à tous.