»La compétence mobilité, une opportunité à saisir pour les intercommunalités » – interview de Sébastien Martin
Sébastien Martin, le nouveau Président de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) et Président du Grand Chalon, encourage les élus à se saisir de la compétence mobilité avant la fin mars 2021. Il évoque par ailleurs le rôle essentiel des intercommunalités dans cette période de crise sanitaire et économique et plaide également pour que des contrats de relance se fasse au plus près des bassins de vie.
En matière de mobilité, quelles sont les réponses à apporter aux territoires enclavés et aux populations les plus fragiles ?
Sébastien Martin. D’abord, il faut rappeler que les communautés de communes doivent, d’ici au 31 mars 2021, se positionner sur l’éventuelle prise de compétence d’organisation des mobilités. Si elles ne le font pas, ce sont les régions qui l’assureront. Toute la question est de savoir si elles veulent, ou non, être pilotes. Attention, on parle bien de compétence mobilité et non pas de compétence transport. Ne faisons pas peur aux élus. Certains disent que si les intercommunalités adoptent cette compétence, cela leur coûtera très cher, notamment parce qu’elles devront mettre en place des services de transport réguliers. Cela n’est pas exact. La mobilité n’est pas restreinte à des réseaux réguliers de transports collectifs comme on les connaît dans les agglomérations. Il s’agit davantage en milieu rural de porter des solutions innovantes comme le co-voiturage, l’autopartage, la location longue durée de véhicules électriques, le développement de réseaux solidaires qui reposent sur le bénévolat. Il y a maintes façons d’envisager la mobilité autrement que par des réseaux de car, de bus ou de tramway. D’autant que le numérique offre de nombreuses opportunités. C’est pourquoi, j’invite les intercommunalités à se saisir de cette compétence pour être maitre de leur destin.
La création d’un secrétariat à la ruralité démontre le regain d’intérêt pour le monde rural ? Quelles sont vos attentes ?
SM. La création d’un secrétariat à la ruralité rattaché à Jacqueline Gourault, Ministre de la Cohésion des territoires, révèle, comme je le disais, l’intérêt porté, désormais, aux espaces ruraux qui ont toute leur place dans la politique d’aménagement et de cohésion du territoire. Car la relation ville – campagne est basée sur la réciprocité, chacune est partie prenante de la politique globale d’aménagement du territoire. De nombreuses communes rurales connaissent des taux de croissance démographiques importants depuis de nombreuses années, liés à leur vocation résidentielle. L’emploi en revanche tend à se concentrer dans les centres urbains majeurs, ce qui pose la question des mobilités quotidiennes entre lieu de résidence et lieu de travail, dont la crise des gilets jaunes a révélé la faible soutenabilité. L’essor accéléré du télétravail, mais aussi la revitalisation économique des bassins ruraux ou des villes moyennes peuvent changer les choses.
Concernant le plan de relance, comment le mettre en œuvre pour qu’il profite aux territoires même les plus enclavés ?
SM. L’AdCF plaide pour une très forte territorialisation des dispositifs du plan de relance, notamment pour le milieu rural. Car les intercommunalités comptent bien participer pleinement à la relance économique, en s’appuyant sur leurs projets de territoires et les nombreuses compétences qu’elles exercent désormais dans les domaines de l’économie, de la transition écologique, de l’habitat, des mobilités… Un sujet fondamental est celui de l’ingénierie nécessaire pour porter des projets et accéder aux financements. Des soutiens sont attendus de la nouvelle agence nationale de la cohésion des territoires.
Si les intercommunalités parviennent à bien s’organiser et disposer d’un pôle d’ingénierie territoriale soit à leur échelle, soit mutualisé à plusieurs, voire en lien avec des appuis techniques provenant d’une agence de développement ou d’une agence technique départementale, nous parviendrons à faire émerger au sein des territoires ruraux des projets solides, éligibles à des financements du plan de relance.
Ceci suppose, par ailleurs, de partir des projets de territoires sans imposer de nouvelles procédures lourdes, et de laisser aux élus le soin de définir le périmètre le plus pertinent pour la contractualisation et leur mise en œuvre. Il faut simplifier et articuler. Surtout ne pas rajouter.
Quels sont les grands défis aujourd’hui sur les territoires peu denses et enclavés ?
SM. Le critère de la densité est effectivement fondamental. Il faut que l’on appréhende les territoires de manière différente et la densité est un critère pertinent. Je prends toujours cet exemple des fermetures des classes qui sont décidées en fonction de ratios nationaux abstraits. Dans mon propre territoire, de nombreuses communes rurales mitoyennes disposaient chacune de leur école. Un jour, le nouveau ratio national a eu un effet couperet pour l’une des trois communes, une école ayant été contrainte de fermer. Cette décision n’était pas dramatique, car les communes étaient proches et des solutions existaient pour les enfants. En revanche, dans des bassins de vie très peu denses, lorsque les communes sont éloignées, la fermeture d’une école peut avoir des incidences beaucoup plus lourdes, contraignant les enfants à passer parfois plus d’une heure dans les transports. L’enjeu numéro un pour ces territoires est que l’on cesse de raisonner à partir de « ratios » standards, mais sur la réalité de ce qu’ils sont, à savoir la densité de leur population et des services qui leur sont offerts. C’est pourquoi les schémas départementaux d’accès aux services publics doivent être la base de cette action. Dans le cas échéant, on ne parviendra pas à lutter contre le sentiment d’abandon.
Le deuxième défi, est de porter haut et fort notre agriculture en tant qu’enjeu de développement économique, d’une part, de transition écologique et de santé publique en assurant une alimentation de qualité. Dans nos territoires, l’agriculture reste très présente pour aménager et entretenir l’espace, mais aussi structurer des filières économiques complètes, que ce soit les filières agro-alimentaires mais aussi le bois, les éco-matériaux, l’habillement, l’énergie… De nombreux défis sont en train d’être relevés : ceux des filières courtes, des projets alimentaires territoriaux, de l’économie circulaire, des énergies renouvelables… En milieu rural, l’agriculture reste un levier économique bien plus structurant que ce que ne laisse apparaître le seul poids des agriculteurs dans l’emploi. Ils sont les premiers maillons de chaînes de valeur beaucoup plus larges. N’ayons donc pas peur de porter ces filières au cœur de nos territoires. On peut accompagner la modernisation du secteur et de ses débouchés, en réussissant sa conversion aux nouveaux impératifs écologiques.
Le troisième défi, c’est de poursuivre l’accès au haut débit pour développer des services innovants comme l’enseignement à distance grâce aux campus connectés, un moyen de garder les populations, mais aussi d’en attirer de nouvelles.
Le programme France très haut débit va accélérer les choses ?
SM. Aujourd’hui, l’ensemble du territoire national est maillé, soit à travers les appels à manifestation d’intérêt d’investissement de 2012, soit grâce aux réseaux d’initiatives publiques portées par les régions ou les départements ou encore grâce aux zones AMEL qui permettent à un opérateur privé de venir investir sur une zone. Il faut néanmoins avoir à l’esprit que le chantier est considérable. En à peine une décennie, nous aurons couvert tout le territoire en fibre optique. C’est une performance. On n’a pas été aussi vite pour le réseau autoroutier ni même le réseau TGV !