« C’est comme si dans cette crise, on avait oublié les bons interlocuteurs » – par Odile Bégorre-Maire
Comment les Autorités Organisatrices Mobilité (AOM), des territoires ruraux, ont- elles traversé les difficultés de la crise, l’organisation du confinement et du déconfinement ? Réponses directes et sans détour avec Odile Bégorre-Maire, Directrice du Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Pays du Lunévillois en Lorraine dans la Région Grand Est.
Nous avions rencontré Odile Bégorre-Maire, à l’occasion des 6e Rencontres de la Mobilité inclusive le 05 février 2020. La Directrice du Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Pays du Lunévillois était venue nous présenter sa vision de la mobilité en zone rurale. Le PETR qu’elle dirige est situé au sud-est de la Meurthe-et-Moselle, il regroupe 4 communautés de communes. Il a depuis le 1er janvier 2018, la compétence d’Autorité Organisatrice de Mobilité (AOM). Nous avions également échangé sur la manière de favoriser la mise en œuvre par les territoires peu denses, de projets de mobilités quotidiennes durables et innovantes. Le Pays du Lunévillois, lauréat d’un appel à projets France Mobilité expérimente le projet MOBILIS qui vise à compléter l’offre de transport existante, en expérimentant un bouquet de solutions de mobilités innovantes.
Nous sommes retournés à sa rencontre afin de savoir en quoi la crise que nous venons de traverser avait changé sa vision des choses et quels en étaient les impacts sur les différents projets de mobilités.
Comment votre territoire a-t-il traversé cette crise sanitaire ? Que retenez-vous de cette séquence particulière ?
Odile Bégorre-Maire. Les élus ont fait le choix durant toute la crise sanitaire, y compris durant le confinement de maintenir un service de mobilité pour les personnes qui en avaient le plus besoin. Nous avons donc poursuivi les activités de transports, que ce soient les transports en lignes régulières, avec deux lignes de bus desservies toutes les demi-heures, ou les transports à la demande, avec sur la totalité du territoire cinq véhicules en TAD qui proposaient deux à trois services le matin. Nous nous sommes bien évidemment assurés d’un maximum de précautions en termes de geste barrières, tant pour les chauffeurs que pour les usagers.
Ce que je retiens de cette période, au vu du nombre de personnes qui nous ont sollicités, notamment durant la période de confinement, c’est que nous avons répondu à une vraie demande. Celles et ceux qui ont fait appel à nos services avaient besoin de se déplacer soit pour aller travailler, notamment autour de la ville centre de Lunéville, soit pour se nourrir et aller faire des courses, pour les habitants des territoires plus ruraux.
Nous avons organisé les choses avec les opérateurs afin que tout se passe au mieux et nous n’avons d’ailleurs eu aucun problème mais hélas aucun soutien non plus ! L’État ne s’est absolument pas préoccupé de notre organisation, il ne s’est même pas rendu compte que les territoires ruraux avaient, durant le confinement, mis en place des systèmes de transports pour les personnes les plus reculées dans les territoires.
Qu’est-ce que vous attendiez de l’État durant cette période de confinement ?
Nous avions besoin que l’État se rende compte qu’il n’y avait pas que les métropoles qui existaient dans la problématique de cette crise sanitaire, y compris d’ailleurs dans l’organisation de la période post confinement. La crise que nous avons vécue a été en fait gérée entre les préfets et des maires, sauf que 80 % des services ne sont pas offerts par les communes, mais à l’échelle au-dessus, par les communautés de communes ou par des syndicats mixtes comme l’est le Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Pays du Lunévillois. Même l’implication de notre Sous-préfet n’a pas permis la prise en compte de cette réalité aux échelles du dessus.
Comment l’expliquez-vous ?
C’est une des conséquences de la loi Engagement et proximité qui fait que les maires sont devenus les seuls interlocuteurs que l’on écoute.
Comment les choses se sont-elles déroulées durant la période de préparation du déconfinement ?
Dès lors que nous avons pris connaissance du premier rapport de déconfinement dans les transports, nous sommes montés au créneau, notamment par l’intermédiaire du Groupement des Autorités Responsables des Transports (GART) pour expliquer au ministère des Transports qu’il fallait prendre en compte les spécificités des territoires peu denses, qu’il n’y avait pas que le problème de l’Île-de-France à régler. Dans ce premier rapport, plusieurs règles posées ne pouvaient perdurer, car elles nous mettaient dans l’obligation d’arrêter les services que nous avions pu poursuivre durant la période de confinement.
Pouvez-vous nous donner un exemple précis ?
L’exemple du transport à la demande est très intéressant. Dans le premier plan de déconfinement, le transport à la demande était considéré comme un service de taxi ou de VTC. Nous nous retrouvions donc avec l’obligation de n’avoir qu’un seul passager à bord. Nous avons dû expliquer à plusieurs reprises que nous avions mis en place durant la période de confinement des TAD qui en toute sécurité pouvait transporter 3 ou 4 passagers en fonction des véhicules. Il a fallu plus de 10 jours entre le 11 mai, date du premier rapport de déconfinement et le 21 mai date de sa publication, pour être entendus et faire comprendre aux personnes en charge de rédiger le plan de déconfinement, que nous pouvions transporter 3 ou 4 personnes et qu’à défaut nous ne serions pas dans la capacité de remplir notre obligation de service, à la fois pour la reprise des écoles et pour la reprise de l’activité économique. Au fond, cette période a été intéressante dans la non-perception qu’il n’y a pas que les métropoles qui sont en capacité de penser et de mettre en place des choses.
Votre constat est assez sévère, est-il partagé par d’autres territoires ?
Notre territoire n’est pas le seul à avoir ressenti cette absence de prise en considération. Nombre de mes collègues qui gèrent des syndicats mixtes de transports ou de communautés de communes se sont retrouvés dans la même situation. C’est vraiment le sentiment que l’on a eu, nous qui gérons la mobilité au quotidien en dehors des métropoles. Nous avons, à mon sens raté une fluidité dans les services offerts à la population.
Il faut que l’État comprenne que dans les AOM, les spécificités des grosses agglomérations doivent évidemment être traitées, mais qu’il faut dans le même temps prendre en compte les spécificités des autres organisations de transports, celles qui offrent des solutions dans les territoires peu denses, même si ces services concernent moins de personnes.
En quoi la LOM, promulguée, mais pas encore appliquée aurait pu changer la donne ?
Cette loi aurait dû spontanément permettre à l’organisation État de se dire que dans cette période exceptionnelle, il fallait en urgence s’appuyer sur le bon niveau et agir à la bonne échelle. La LOM prévoit que le bon niveau c’est avant tout un niveau intercommunal au minimum et nous sommes allés à l’inverse dans l’organisation, en nous appuyant uniquement sur les communes. J’ai eu plusieurs échanges avec mes interlocuteurs régionaux qui n’étaient pas plus dans la boucle que nous. C’est comme si dans cette crise, on avait oublié les bons interlocuteurs et les donneurs d’ordres.
Le financement de la mobilité est une question essentielle, quelles sont, pour votre structure, les répercussions économiques de la crise ? J’imagine que vous avez subi un manque à gagner, lié au versement mobilité » ?
Le budget transport du Pôle d’équilibre territorial et rural n’est financé que par le versement mobilité que nous percevons de la part des employeurs de 11 salariés et plus. Les pertes liées à cette contribution risquent d’être importantes. Les entreprises qui ont bénéficié du chômage partiel n’ont pas à reverser ce versement mobilité sur la masse salariale qui était en chômage. Selon nos premières estimations, nous pourrions être amputés de 40 à 50 % de nos recettes pour la fin de cette année.
Quelle est votre stratégie face à ce manque à gagner ?
Nous attendons la fin des discussions avec l’État sur la question de la compensation, mais il y a certains investissements qui étaient programmés et que nous ne réaliserons pas cette année. Il en sera peut-être de même en 2021. En tant qu’AOM, comme l’est notre Pôle d’équilibre territorial et rural, nous avons la possibilité de faire de l’investissement quand on propose des lignes régulières. Ainsi chaque année nous aménageons, par exemple, des voies cyclables, ou des haltes gares ou nous investissons dans l’autopartage ou l’électromobilité. C’est forcément ce type d’investissement qui va se retrouver pénalisé.
De cette situation assez difficile percevez-vous des éléments positifs ? De quelle manière ces événements peuvent-ils, selon vous, faire bouger les lignes et restructurer les projets de mobilité alternatifs à la voiture individuelle ?
Même si nous avons un territoire vaste et rural, nous sommes convaincus, par exemple, de la place grandissante du vélo et nous constatons notamment sur la ville centre que de nombreuses personnes réutilisent leur bicyclette. Nous essayons de valoriser ce mode de transports y compris en anticipant la future mise en place des nouveaux conseillers, qu’ils soient municipaux intercommunaux ou syndicaux. Il est essentiel de les emmener avec nous dans la compréhension que le vélo est un vrai mode de déplacement et qu’il faut développer.
Sur la question du covoiturage, contrairement à ce que l’on a pu penser, la pratique perdure, nous constatons même une reprise. Nous disposons sur notre territoire d’un réseau de 17 aires de covoiturage dont une d’une soixantaine de places. Avant le confinement, 55 d’entre elles étaient en moyenne occupées en semaine. Nous sommes à nouveau sur une trentaine de véhicules stationnés la journée. Par ailleurs, le cadre du partenariat que nous menons avec Klaxit depuis plus d’un an, sur le covoiturage domicile-travail, les chiffres du mois d’avril et du mois de mai montrent que nous avons conservé un fond régulier de covoitureurs.
Plus globalement, sur ce sujet des mobilités alternatives à la voiture individuelle, je dirai que toutes les personnes qui étaient convaincues de leur utilité avant la crise le sont toujours. En revanche, pour celles et ceux qui étaient sur le point d’essayer, la crise a compliqué le passage à l’acte et nous avons quelques craintes de voir un retour en force de l’autosolisme. Nous allons donc devoir reprendre le bâton de pèlerin pour aller convaincre que l’on peut se déplacer autrement !
Vous nous aviez présenté lors des 6e Rencontres de la Mobilité inclusive votre expérimentation baptisée « MOBILIS », où en êtes-vous. Est-elle remise en cause par la crise ? Quel est l’état des lieux de projet aujourd’hui » ?
Avec ce projet nous souhaitons apporter le bon mode au bon endroit, en faisant l’équilibre entre les modes de transport organisés (transport urbain, TAD) et les modes partagés et actifs. Nos élus ont fait le choix d’aller jusqu’au bout des expérimentations, le projet est donc maintenu, avec pour objectif de démontrer qu’un territoire comme le nôtre peut offrir des alternatives à l’autosolisme. Le projet MOBILIS comporte en fait trois expérimentations distinctes. La première, est un service de covoiturage domicile travail, avec l’opérateur Klaxit. Elle fonctionne depuis mai 2019 et se poursuit, nous reprenons une communication active auprès des employeurs.
La seconde concerne une expérimentation d’autopartage de voitures électriques avec l’opérateur de services d’électromobilité, Clem. Elle devait débuter le 06 avril dernier, nous avons donc dû la reporter au mois de septembre.
Enfin, la troisième expérimentation réside en un service de mobilité solidaire avec l’opérateur de covoiturage Mobicoop. Nous avons repris le travail pour faire une proposition à nos élus en septembre.
Enfin, pour conclure, je dirai même que cette crise renforce toutes ces expérimentations, car elle accentue la responsabilité et le rôle de ceux et celles qui font le choix de se déplacer autrement qu’avec un véhicule personnel.