Ruralité : relancer l’économie par le local
Les élus ruraux se sont retrouvés en première ligne dans la gestion de la crise sanitaire, comment désormais penser l’après ? Comment faire du local un point d’appui clé pour la relance du pays ? C’est ce que propose l’Association des Maires Ruraux de France avec un plan « post crise ». Précision avec Cédric Szabo, Directeur de l’AMRF.
« La tête dans le guidon », c’est ainsi que Cédric Szabo décrit la situation dans laquelle sont les élus ruraux depuis le début de la crise sanitaire. « Du jour au lendemain, ils ont dû répondre dans l’urgence à des situations inédites ; ainsi dans les petits villages ce sont les maires qui sont allés faire les courses pour les ainés, qui ont imprimé des mails pour les plus jeunes ou fait des avances en trésorerie. Tous ont très vite mesuré que la combinaison entre continuité et proximité était essentielle », précise le directeur de l’AMRF.
La dernière fois que nous avions rencontré Cédric Szabo c’était à l’occasion des 6e Rencontres de la Mobilité inclusive, le 5 février 2020. Le directeur de l’AMRF était venu dresser un état des lieux de la ruralité en France. Il avait aussi insisté sur le rôle joué par les élus ruraux lors de la crise des gilets jaunes, de leur implication dans le Grand Débat National avec la publication du cahier de doléances « La parole aux citoyens » et de la création par le gouvernement d’un Agenda rural, afin d’inscrire les besoins spécifiques en zones rurales. (Lire l’interview et revoir la vidéo l’intervention de Cédric Szabo aux 6e Rencontres de la Mobilité inclusive).
« La crise sanitaire que nous traversons, un an et demi après celle des gilets jaunes place à nouveau les élus en première ligne », explique aujourd’hui le directeur de L’AMRF. « Ces deux crises montrent le rôle essentiel d’amortisseur joué par les élus ruraux capables de proposer dans l’urgence des solutions nouvelles aux profits de leurs concitoyens les plus vulnérables. Cette crise actuelle montre également que les inégalités territoriales d’avant la crise amplifient leurs effets pendant ».
C’est pourquoi l’AMRF a élaboré un plan « post crise » avec pour objectif de « réduire les inégalités avant les prochaines crises environnementales, sanitaires et sociales ». L’AMRF propose ainsi de partir de « l’expérience actuelle dans les villages ruraux » pour « prioriser l’action sur des enjeux forts » et ainsi, « faire du local un point d’appui clé pour la relance du pays ». La proposition baptisée « Oser la relance par le local » comprend 24 propositions articulées autour de quatre priorités : le retour à l’autonomie des communes, la transition énergétique, le déploiement du numérique et s’occuper des aînés.
Il s’agit en fait d’une actualisation de l’Agenda rural, dont les 181 mesures sont jugées par L’AMRF comme étant « trop longues à se mettre en place ».
Questions à Cédric Szabo
Que faut-il retenir de ces 24 propositions ? Que manque-t-il aujourd’hui aux élus ruraux pour agir ?
La question de la gouvernance est l’axe prioritaire. Il faut absolument redonner de la capacité d’agir au niveau local. Les élus ont dû gérer cette équation et nous avons apporté la preuve que nous étions en capacité d’offrir des solutions. Ce que l’on demande aujourd’hui aux pouvoirs publics c’est de pouvoir retrouver une certaine autonomie dans la décision. Le mode actuel de l’attribution des compétences fragilise le monde rural, la loi de la république nous interdit de répondre à certains sujets. C’est pourquoi nous demandons la levée de cet interdit doctrinaire, car nous avons besoin d’agir. Dans le domaine des aides économiques, par exemple, la compétence ne peut être exercée que par deux entités la région et l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Nous estimons que nous devons pouvoir agir au nom de l’intérêt public local, en utilisant le périmètre communal, pour que l’aide financière aille à ceux qui en ont vraiment besoin. Pour faire face au défi de la relance, on doit pouvoir s’appuyer à la fois sur les communes et sur les EPCI afin d’éviter de perdre du temps, ou encore redonner aux communes une autonomie dans l’utilisation des crédits d’intervention.
Lors des 6e rencontres de la Mobilité inclusive, vous nous expliquiez que si l’on devait hiérarchiser les sujets de la vie quotidienne des habitants, tout partirait de la mobilité. Qu’est-ce que cette crise va-t-elle selon vous changer dans le domaine de la mobilité ?
Sur cette question de la mobilité et dans le temps de confinement que nous venons de vivre nous avons assisté à une sorte de mobilité nouvelle et contrainte, celle des élus qui se sont déplacés chez les citoyens pour rendre des services ou pour aller faire les courses à la place de ceux qui ne pouvaient pas ! Plus globalement, cette crise nous oblige à repenser la question de la mobilité d’afin d’assurer la continuité dans la proximité, en même temps que l’on doit repenser la question de la localisation de l’emploi et de la continuité des services publics. C’est en ce sens une chance historique de remettre le local au cœur du débat public. Nous devons mettre en application le triptyque : mobilité de la personne, mobilité du service et mobilité de l’objet, il s’agit de trouver un juste équilibre entre itinérance et sédentarité.
Sur ce sujet, nous sommes précisément confrontés à la question de la gouvernance évoquée précédemment. L’État nous dit que la LOM peut apporter des solutions en temps de crise. Mais selon quel délai ? Les communautés de communes ont jusqu’au 31 décembre 2020 pour se saisir ou non de la compétence d’organisation de la mobilité et si elles ne le font pas, c’est la région qui s’en chargera. Nous demandons d’agir vite et maintenant, les maires ruraux ont une connaissance fine du territoire et sont porteurs de solutions immédiates, c’est pourquoi l’État doit prendre des mesures d’urgence qui nous permettent de légalement agir. Nous avons la technicité sur la mobilité, nous avons l’expertise sur les mécanismes, sur la gestion scolaire sur les transports, on sait faire, par exemple, des regroupements pédagogiques entre les écoles.
En quoi le télétravail, très utilisé dans cette période de crise, peut-il être facteur de changement dans les territoires ruraux ?
Le télétravail qui jusqu’à aujourd’hui été considéré comme accessoire, a été largement sollicité durant la crise. Il peut devenir un outil phare s’il se développe pour contribuer à une moindre mobilité et aider à baisser la pression sur la congestion urbaine. Mais pour cela il convient de mettre un terme aux lenteurs et aux carences en matière de numérique qui en pleine crise ont décuplé les difficultés des habitants des territoires ruraux.
Le développement du numérique fait également partie de vos mesures phares ?
Oui c’est la priorité. Nous avons pu observer durant cette crise combien les inégalités territoriales en la matière étaient grandes, en particulier pour l’enseignement à distance ou le télétravail en zones rurales avec de nombreux exemples d’accès aux réseaux fixes et mobiles défaillant, des coupures d’accès ou des réseaux haut débit inadaptés. Par ailleurs, la digitalisation assez faible de nos PME, TPE, artisans et professions libérales, a été un frein à l’adaptation de leurs circuits d’approvisionnement et de distribution. La résilience de nos activités médicales, sociales, éducatives et professionnelles passe par un numérique accessible à tous et en tout lieu. Il est essentiel d’accélérer la numérisation : accélérer le déploiement de la 4 G les plans de déploiement de la fibre ou encore les projets de télémédecine.
La question de l’habitat est aussi au cœur de votre plan de relance ?
Nous devons en effet libérer le potentiel incroyable du bâti dans les territoires ruraux, nous pouvons ainsi mettre en place des centaines de milliers de logements tout en contribuant à la transition énergétique. Nous demandons par exemple que les communes puissent signer des Contrats de transition écologique en faisant sauter le verrou en limitant l’accès aux EPCI.
De nombreuses initiatives sociales et solidaires ont émergées durant cette crise, laquelle a-t-elle retenue votre attention ?
Nous avons observé certains phénomènes intéressants. Ainsi parfois la fermeture temporaire des marchés a obligé les commerçants ambulants à se poster au bord de la route au bout de leur chemin. Cette notion émergente de drive est intéressante, elle préfigure peut-être une accélération dans la réorganisation de l’accès à l’alimentation.