Recherche : les jeunes et la mobilité dans les territoires ruraux
Parce que l’avenir de notre pays se construit aujourd’hui avec la jeune génération qu’elle soit urbaine ou rurale, le Laboratoire de la Mobilité inclusive a lancé une recherche sur « les jeunes et la mobilité dans les territoires ruraux”. Ce travail a été mené conjointement par le docteur en Sciences de l’Éducation, Gérard Hernja et par le sociologue, Alain Mergier. Les résultats de la recherche ont été présentés lors des 6es Rencontres de la Mobilité inclusive.
Le rapport complet est également disponible sur demande, via notre formulaire de contact.
À travers cette recherche, nous voulions comprendre la manière dont les jeunes, dans les territoires ruraux, envisageaient les problématiques de déplacement et de mobilité. Au-delà de l’étiquette qu’on colle parfois à ces jeunes, « d’assignés à résidence » ou de « jeunes manquant d’ambition ».
Notre recherche repose sur une approche qualitative, une méthodologie spécifique, un travail sur le terrain, avec les habitants, en vivant avec eux, en les interrogeant, en observant les jeunes, en les filmant dans leur vie ordinaire ; en donnant véritablement la parole à des habitants pour qu’ils deviennent non plus seulement des sujets de recherche, mais des acteurs de la recherche. La parole que nous relayons et interprétons est celle des villageois et plus particulièrement des jeunes.
Gérard Hernja, docteur en Sciences de l’Éducation, à l’occasion de la présentation des résultats de la recherche.
Problématique
Ce travail de recherche a notamment pour objectif de “concrétiser les problèmes spécifiques des jeunes en relation avec le développement de leur capacité́ à être mobile”. La jeunesse est un moment particulier de la construction de cette compétence mobilité́, avec des choix déterminants dans la perspective des mobilités géographiques, résidentielles et sociales futures. Le territoire rural est un lieu particulier pour cette construction, avec très souvent une absence de diversité́ dans les solutions transport, mais aussi dans les métiers et les avenirs sur place. Cette mise en relation s’est réalisée à travers une immersion dans un village Vosgien de moins de 150 habitants, Tuilières.
Éléments de méthodologie
L’idée était de croiser les regards de deux chercheurs, à partir de leurs expériences dans le champ de la Sociologie et des Sciences de l’Éducation. L’un des chercheurs habite et vit à Thuillières depuis plus de douze années. La question de la mobilité́ a été abordée en la reliant avec le concept d’autonomie, un concept fécond dans l’ensemble des Sciences humaines. Les chercheurs ont observé et suivi les jeunes du village, repartis a priori en fonction de leurs âges afin de comprendre le déroulement de leur vie ordinaire dans le village. Ils ont mené des entretiens réflexifs avec ces jeunes en les réunissant autour d’un objectif commun en partant des éléments d’observation issus lors de l’immersion. Des entretiens semi-directifs ont été menés avec l’ensemble des parents, avec les personnes en couple dans le village et en âge d’avoir des enfants. Des entretiens ont également été conduits avec plusieurs habitants du village pouvant apporter un éclairage complémentaire au champ de recherche, notamment par rapport à leur engagement associatif ou social au sein du village.
Gérard Hernja, comment définiriez-vous cette mobilité des jeunes ?
Le premier élément que je mettrais en avant est que ces jeunes font très tôt des expériences de mobilité, notamment à travers l’ensemble des déplacements qui leur sont imposés. On pourrait dire que cela commence à la naissance, le plus souvent à Épinal, au retour de la maternité. Ensuite, ils sont dans la voiture des parents pour chaque rendez-vous, au moins à 10 kilomètres, mais souvent bien plus. Dès la maternelle, ils prennent le bus pour Vittel. Ils partent ainsi à 08 heures et rentrent après 17 heures, donc neuf heures à l’extérieur. Pareil pour l’école primaire. Ils prennent le même bus même si les horaires de classe sont décalés et que les petits de la maternelle attendent près de 30 minutes dans le bus la sortie des autres enfants. Au collège c’est encore Vittel, avec un départ à 7 heures du matin et un retour à 16h45. Au lycée, c’est l’internat et à l’université c’est la chambre ou le studio. Donc pour des enfants confinés dans les villages, assignés à résidence, ils sont souvent hors du village. L’avantage de ce système c’est que les enfants font très tôt l’expérience de l’autre, de celui qui n’est pas du village, mais de la petite ville. Là où pour les ainés l’arrivée en 6e, après quatre années d’école en petit groupe dans le village, pouvait être traumatisant, pour eux l’entrée en 6e n’est plus aussi compliquée. ils ont aussi tous déjà été en vacances, souvent mêmes à l’étranger, au bord de la mer ou à Paris (moi la mer c’était à 18 ans, Paris c’était plus tard encore…). Ils sont plutôt informés, au courant des actualités, curieux et ouverts. Pas si différents, extérieurement, de tous les enfants : ils parlent de la même façon, s’habillent de la même façon, regardent les mêmes films, les mêmes séries. La mobilité pour ces jeunes c’est beaucoup les chemins qu’ils ont dans la tête, les chemins qu’ils construisent aussi par rapport à leurs désirs et leurs rêves.
Justement comment se rêvent-ils et où se rêvent-ils ?
Les enfants rêvent d’être vétérinaires, médecins, actrices, assistantes sociales ; pour certains, dans la ruralité, mais pas forcément à Thuillières, pour d’autres en ville. La plupart d’entre eux ont déjà intégré l’idée qu’ils devront partir. Pour les adolescents ils s’imaginent en pompier, hôtesse de l’air, technicien, monteur de cinéma… parfois dans le village ou à proximité.
Une recherche entre immersion et distanciation
Un traitement qualitatif des données a été effectué, avec un choix de différentes catégories d’analyse. Les données ont ensuite été classées dans ces catégories avant de les croiser avec les théories et les concepts clefs mobilisés. Ces niveaux d’analyse et de traitement des données ont permis d’inférer des résultats de recherche et de produire différentes préconisations.
Je parle plus volontiers d’orientations parce que le but de la recherche est surtout d’expliquer un phénomène et d’aider à le comprendre. Néanmoins, parce que nous sommes aussi impliqués dans cette vie de la ruralité, nous sommes allés vers quelques préconisations. Nous avons d’ailleurs quelques idées précises. Voici deux exemples : inverser l’approche du permis de conduire, passer d’un permis pour un travail à un travail pour un permis ou encore trouver des tuteurs dans la ruralité pour accueillir les jeunes des villes, surtout les étudiants.
Gérard Hernja
Quelles préconisations ?
Les axes de préconisation proposés intègrent l’idée première que la mobilité et les territoires doivent être envisagés comme des ressources et des lieux favorisant l’inclusion.
- Axe de préconisation 1 : rétablir la confiance dans le territoire.
- Axe de préconisation 2 : avoir le souci des parents dans la ruralité.
- Axe de préconisation 3 : penser l’orientation et l’accès aux métiers utiles.
- Axe de préconisation 4 : repenser le rôle spécifique de l’automobile dans la ruralité.
- Axe de préconisation 5 : valoriser les parcours professionnels dans la ruralité.
- Axe de préconisation 6 : faciliter la vie des jeunes dans les villages et soutenir leurs projets.
- Axe de préconisation 7 : valoriser les territoires à partir d’une mobilité.
- Axe de préconisation 8 : éducation et accompagnement à la mobilité.